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Il nous faudra un jour une anthologie québécoise sur l’automne

paysage automnal deux

Les textes sur cette saison sont si riches dans la presse d’il y a un peu plus de 100 ans. Nous pourrions revenir à cette anthologie les soirs de feux de bois dans le poêle. Plutôt que de nous écrier «Que c’est don d’valeur, grand dieu, v’là l’automne !», nous aurions matière à nous bercer avec ce recueil de textes, à partager nos manières de vivre l’automne.

Ici, dans Le Monde illustré (Montréal) du 16 octobre 1886, la journaliste Hermance — il s’agirait d’Hermine Lanctôt — encourage Marguerita à se lancer à son tour dans la chronique, d’autant plus qu’elle-même est fort occupée à sa vie domestique en ce moment de grand ménage et des déménagements de la Saint-Michel, le 29 septembre. Occasion de chanter l’automne québécois.

Allons, ma chère Marguerita, vous ne devez pas attendre après moi pour causer les amis lecteurs [sic] du Monde Illustré. Vous ignorez les nombreuses occupations qui me réclament et, à cette saison de l’année surtout, le balai joue, entre les mains d’une maîtresse de maison, un bien plus grand rôle que la plume.

Si je veux m’efforcer de tourner un article pour le plaisir de vous lire ensuite, je risque fort d’ennuyer mes gens en m’obligeant à parler toiles d’araignées, poussière et coins sales. Puis mes paperasses sont perdues sous les meubles déplacés, entassés; et en train de mettre la cave au grenier, je ne sais vraiment comment arriver jusqu’à mon écritoire.

M’y voici : mais quelle mine fatiguée aura cette page !

Outre les mille et une misères d’un grand ménage, des ouvriers qui promettent et ne tiennent pas, des servantes maladroites qui dégringolent les escaliers en brisant la moitié de ce qu’elles transportent, ou nous font attendre pour perdre un temps précieux à des riens-du-tout, moralement, je suis triste, triste, tout-à-fait triste. J’ignore un peu pourquoi.

Peut-être parce que l’amie de cœur qui avait son domicile à deux pas du mien vient de s’envoler vers un somptueux home, là-bas, bien loin, dans un quartier fashionable; que les bonnes et longues causeries se feront plus rares, les grandes promenades aussi.

Ensuite… je ne sais plus.

Pourtant, notre vaste logement se remplit de figures nouvelles, gaies, joyeuses; l’archet entre des doigts agiles et bien exercés charme délicieusement l’oreille; des voix douces et sympathiques donnent aussi leurs notes; des oiseaux, accouplés d’hier, viendront, sous notre humble toit, roucouler l’immensité, l’infini de leur incomparable bonheur.

De plus, c’est l’automne, la saison que j’aime entre toutes, avec son cortège de premiers frissons, de premiers coins du feu, de premières veillées, de premiers rapprochements intimes.

C’est l’automne avec son bruissement de feuilles qui me captive, avec son sifflement de vent qui m’émeut, avec sa pluie qui bat nos carreaux. C’est l’automne qui réveille dans l’âme des pensées plus grandes, plus chaudes; c’est l’automne qui nous fait aimer davantage ceux que nous aimons déjà, les rechercher plus encore, se blottir dans leur affection, dans leur âme comme dans un petit paradis durable, sans nuage…

Mais savez-vous qu’il y a comme ça dans la vie des instants où le spleen s’empare forcément de nous, nous rend moroses, nerveux, maussades, impatients, insupportables, jette un voile sombre, noir sur tout ce qui nous entoure. Toutes les mains que je presse — à quelque exception près — me semblent froides, tous les cœurs fermés, et moi-même… moi-même d’ordinaire assez franche, assez ouverte, assez abondante, je me sens devenir avare, étroite, chiche.

Donc : Le mieux à faire serait de m’effacer pour vous parler un sujet [sic] plus intéressant — élection par exemple, au risque de me faire écornifistibuliser par ceux qui ne pensent pas comme moi, — mais l’air imprégné de vapeur qui m’arrive de la cuisine m’annonce que la lessive va son train là, que tout le monde est occupé par la maison et que je ne ferais pas mal de laisser la plume pour reprendre l’époussette qui m’attend.

Je vous laisse, Marguerita, la tâche si facile à vous d’être charmante pour tous. Comme à l’oiseau qui nous touche du bout de l’aile en jetant quelques notes de son chant, je vous dis :

Revenez, revenez vite !

Hermance.

 

J’ai l’impression, comme souvent cela se produit dans la presse de l’époque, que les erreurs de français dans ce texte viennent du typographe de cet hebdomadaire montréalais.

Selon l’ouvrage de Bernard Vinet, Pseudonymes québécois (Québec, Éditions Garneau, 1974), Marguerita serait le pseudonyme de «Mlle Joséphine Denault, sœur d’Amédée, devenue Mme Pierre Blouin».

2 commentaires Publier un commentaire
  1. alain gaudreault #

    Votre Automne dans la vallée du St laurent est un classique que j’ai lue et relue!

    27 octobre 2015
  2. Jean Provencher #

    Ah, merci, Monsieur Gaudreault !

    27 octobre 2015

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