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Le prophète de Saint-Hyacinthe a parlé

prophete de saint hyacintheNous avons souvent entendu parler de ces prophètes extraordinaires, dont les prédictions répandent l’effroi et la terreur par toute la terre ou font naître au sein des multitudes croyantes et naïves de suaves espérances.

Mais nous n’avions jamais eu l’occasion d’en voir en chair et en os.

Et bien, pas plus tard qu’hier après-midi, alors que nous étions à notre table de travail, rédigeant des faits divers, un individu de haute taille, drapé dans un froc noir, et portant une longue barbe grisonnante, s’avança vers nous, l’air inspiré.

«Je suis un prophète, dit-il tout simplement, en nous abordant, le chapeau à la main, et je voudrais faire bénéficier La Patrie de mes prédictions qui vont étonner le monde». […]

L’homme inspiré salua, prit un siège, déroula lentement, avec mesure, plusieurs feuilles de papier écolier (foolscap), couvertes d’une écriture serrée, puis commença une interminable lecture.

Le manuscrit qui s’effeuillait sous ses doigts, avec moins de rapidité que ne l’aurait souhaité le reporter, parlait de Jésus-Christ, de la Sainte Vierge, des Anges, des Saints, des Apôtres, etc. […]

Quand l’inspiré eut fait résonner la dernière trompette qui ébranlera les échos de la vallée de Josephat, au jugement dernier, le reporter le pria de décliner son nom, prénom et occupation.

Liboire Trottier, né à Varennes, le 11 mars 1849, fut la réponse.

Le journaliste s’empressa d’inscrire dans son calepin ce nom qui doit devenir célèbre par toute la terre.

 

Puis le prophète raconte au journaliste que, dans son enfance, il rencontra la Vierge et «eut le suprême honneur d’avoir des entrevues intimes avec Jésus-Christ». Grâce à ces rencontres, il commença à prophétiser.

C’est ainsi qu’il prédit le «Grand Coup» qu’avait raté un abbé bien connu, et la fin du monde si mystérieuse pour les plus saints d’entre les saints de la terre.

Le «Grand Coup», c’est-à-dire la conversion de toutes les nations de la terre au Catholicisme, se fera dans le dernier hiver de ce siècle. La fin du monde arrivera dans trente ans !

Le prophète réside maintenant à St-Hyacinthe. Toutes les semaines, le Christ lui rend visite.

Le reporter de La Patrie flaira tout de suite une bonne aubaine pour le journal. Nous avons, dit-il à l’homme de Dieu, des correspondants disséminés par tout le pays, mais il nous manque un correspondant au ciel. Vous êtes, si je ne me trompe, l’homme qu’il nous faut. Acceptez-vous la position enviable de mettre nos lecteurs au courant des choses du Royaume Céleste. Un seul fait divers, venant de ce lieu de délices, fera, vous comprenez, la fortune du propriétaire de La Patrie. Si vous acceptez, vos services seront grassement rémunérés. J’accepte, dit le digne homme, mais «Pro gloria Dei», le vil métal ne devant jamais souiller mes mains.

Ce marché conclu entre le prophète et le reporter mit fin à la conversation, le premier s’en allant à St-Hyacinthe reprendre ses entrevues avec Jésus-Christ, et le journaliste se remettant à écrire une arrestation mouvementée faite par le détective Charpentier.

 

La Patrie (Montréal), 23 septembre 1898.

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