En voilà un qui est franchement chat plutôt que chien
L’écrivain et officier de marine français Pierre Loti (1850-1923), qui selon plusieurs est vraiment passé à l’histoire avec son roman Pêcheur d’Islande (1886), est vraiment chat. Dans La Patrie du 2 juillet 1900, il y va d’un long texte sur le chat. En voici seulement un extrait, avec promesse d’y revenir.
Un chat qui me regarde; il est là tout près sur ma table… il avance sa petite tête obscurément pensante, où doit se faire, en ce moment quelque lueur inaccoutumée. Tant qu’il a entendu aller et venir autour de moi des domestiques ou des gens quelconques, il s’est dédaigneusement tenu à l’écart, sous un fauteuil, car je suis l’unique ayant permission de caresser sa robe toujours immaculée.
Mais, dès qu’il, m’a senti seul, il est venu et s’est assis bien en face, pour soudainement prendre une de ces expressions profondes comme il en passe de temps à autre dans le regard de ses pareils, — bêtes contemplatives, bêtes énigmatiques. Ses deux yeux jaunes, fixés sur moi, sont grands ouverts, dilatés par un effort intérieur pour m’interroger et essayer de comprendre :
— Qui es-tu en somme ? demande-t-il, toi à qui je me confie ? Qu’est-ce que tu vaux ? Qu’est-ce que tu penses et qu’est-ce que tu fais en ce monde ?
Dans notre ignorance de tout, dans notre impuissance à rien savoir, quel étonnement — et peut-être quelle terreur — il y aurait à pénétrer, par les étranges fenêtres de ces yeux, jusqu’à l’inconnaissable de ce petit cerveau caché derrière. […]
Nous sont-elles très inférieures et lointaines, ces bêtes familières, ou bien terriblement voisines ? Est-il beaucoup plus épais que le nôtre, le voile de ténèbres qui leur masque la cause et le but des existences ?… Mais non, jamais, jamais il ne sera donné à aucun de nous de rien déchiffrer, dans ces petites têtes câlines, qui se font si amoureusement caresser, tenir et comme pétrir de nos mains…
À présent, il va s’endormir, le chat, et rêver, sur cette table où j’écris; le plus près de moi possible, il s‘installe, non sans avoir deux ou trois fois allongé la patte, en me regardant, pour implorer la permission de descendre sur mes genoux. Et il se couche, la tête tendrement appuyée sur mon bras avec un air de dire :
Puisque tu ne veux pas de moi tout à fait, souffre au moins cela, qui ne te gêne guère.
Quel mystère de l’«affection» des bêtes ! Tout ce que déjà cela dénote d’élevé, de supérieur, dans leurs âmes si inconnues.
Et comme je comprends Mahomet, au chant du muezzin qui l’appelait à la prière, coupant avec des ciseaux le coin de son burnous avant de se lever par crainte de déranger son chat qui s’était installé dessus pour dormir.
La photographie fut prise par Conrad Poirier (1912-1968) à la caserne du 26, avenue Mont-Royal Est, à Montréal. On y voit le pompier Y. Brien qui pose avec la mascotte de la station. Cette photographie est déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec dans le Vieux-Montréal, Fonds Conrad Poirier, Photographies, cote : P48, S1, P15093.