Nos enfants meurent en si grand nombre
Il y a cent ans, l’été, beaucoup d’enfants mouraient dans les villes québécoises. Le 18 avril 1908, à la veille de la saison estivale, le quotidien montréalais La Patrie sent le besoin de revenir sur le sujet.
Non seulement Montréal est la ville où il meurt le plus d’enfants relativement aux autres cités du monde, mais sa mortalité infantile est deux fois plus grande que celle de certaines villes américaines, qui sont les plus mal partagées à cet égard. La voix éloquente des statistiques donne le pourcentage suivant :
Saint-Louis………… 26.05 p. c.
Philadelphie………… 28.13 p. c.
Chicago………… 41.86 p. c.
Montréal………… 58.00 p. c.
Il n’y a pas matière à consolation pour les milliers de mères qui perdent ici leurs petits, et leur rancœur contre les pouvoirs publics qui ne les protègent pas de la contagion par une surveillance suffisante de l’eau et du lait doit s’aggraver encore quand elles comparent les soins donnés aux animaux en bas âge, qui ne meurent que dans une proportion de 4 pour cent.
Elles ne se rendent pas compte, les pauvres mères, qu’elles contribuent souvent elles-mêmes au mal qu’elles déplorent. Dans leur ignorance, elles suralimentent et administrent des drogues aux estomacs fragiles des nouveaux-nés et elles exigent inconsciemment de leurs laitiers un lait vieilli en leur demandant une livraison matinale.
Les bidons de lait qui entrent en ville le matin contiennent du lait de la veille au soir mélangé à celui de la veille au matin, et ils sont déposés à la gare ici, vers 10 heures; or, les laitiers, au lieu de partir en tournée immédiatement (ce qu’ils préféreraient de beaucoup à la nécessité de courir la ville à des heures indues) apportent le lait chez eux et le gardent jusqu’au lendemain de bonne heure, afin de donner aux gens l’illusion qu’ils reçoivent un lait tout récemment trait.
Car le laitier qui voudrait livrer à onze heures un lait relativement frais (puisque, hélas ! tout est relatif en ce bas monde), n’en vendrait pas une bouteille.
O logique des maîtresses de maison !
Mais nous nous reprenons, ces erreurs fréquentes viennent plutôt de l’ignorance que de la mauvaise volonté des mères.
Nous croyons qu’à la veille de l’été, où la mortalité des enfants atteint son maximum, il serait d’actualité de donner une série de leçons pratiques sur l’hygiène infantile et d’attirer l’attention des Canadiennes sur les fautes quotidiennes qu’elles font, de bonne foi peut-être, à l’endroit de leurs nourrissons, mais qui deviendraient coupables si chacune d’elles ne prenait pas les moyens de s’instruire, au profit de la conservation de notre race.
Contribution à une histoire de l’enfant québécois.
Dites-moi, ami historien… Qu’en était-il de l’allaitement maternel en ce début de XXe siècle ? Bien sûr, les nouvelles mamans n’avaient pas comme aujourd’hui des suppléments alimentaires pour soutenir leur santé pendant des mois plus « exigeants », mais il me semble que l’allaitement eut aidé à la santé(et la survie !) de ces chers petits êtres ?
Les mères allaitaient, c’est certain. Mais elles n’avaient pas encore les conseils du médecin et de l’infirmière de l’unité sanitaire locale, des institutions que nous connaîtrons à partir des années 1920. Le grand problème à l’époque venait surtout du lait de vache non pasteurisé. Lorsque la mère cessait d’allaiter et qu’elle passait au lait de vache pour son enfant, souvent se manifestaient des maux comme la diarrhée qui pouvaient emporter l’enfant. Car, au Québec, on a refusé longtemps la pasteurisation. À Québec, par exemple, il a fallu en 1927 un sévère règlement municipal pour obliger les laiteries à pasteuriser le lait. Un lait de vache mal conservé et non pasteurisé (Louis Pasteur l’avait montré par ses travaux) peut être mortel après 36 heures.
Il est vrai que la misère et la pauvreté n’aidaient pas non plus l’enfant.
Merci merci de ces informations bien précises. Dans la famille de ma mère(née en 1924, et parmi les plus jeunes), plusieurs enfants sont décédés en bas âge, alors qu’ils vivaient sur une ferme de St-Alexandre. Ma grand-mère, mariée à 26 ans et d’une santé fragile faut le dire, allaitait très peu ses bébés. Quelques petites semaines tout au plus. Elle leur donnait ensuite à boire du lait de vache coupé d’eau… sans qu’il soit écrémé. Comme vous le disiez plus haut, se manifestaient alors des diarrhées qui emportaient l’enfant… quand ce n’était pas la diphtérie ou le croup dans les mois suivants. Seulement cinq enfants sur douze ont survécu(j’en frissonne chaque fois juste à l’écrire !) Les plus résistants, j’imagine !
Peut-être est-ce en lien avec vos explications pour ce qui est de la famille de mon père car celui-ci était l’aîné de quatorze enfants, bien « vivants » dans leur enfance, et il était né lui aussi en 1924…