Les tribulations d’un automobiliste à Montréal
En 1908, l’automobile est à la veille de remplacer le cheval. Mais nous n’y sommes pas encore. Voici deux lettres d’un Montréalais, qui signe A. Teip., à son ami parisien. Le journal La Patrie du 6 avril 1908 le qualifie d’«amant de la vitesse».
1er avril.
Mon vieux chum,
Montréal ne m’en parle pas ! Pour un dévôt du moteur comme moi, c’est un enfer. Pour le moment, tout au moins !
Je viens d’essayer mes 30 chevaux et j’en suis encore tout fourbu. À peine la belle était arrivée que le docteur a voulu la voir, puis faire une petite promenade. Et, en effet, ce fut une «petite» sortie.
Les nombreuses inégalités produites pendant l’hiver par la glace dont les rues sont couvertes rendent les chemins absolument impraticables à l’automobile. Heureusement que le dégel arrive et que je pourrai, d’ici un mois, t’annoncer mes hauts faits en compagnie du docteur.
Quant à la ville elle-même, elle ne paraît pas trop vilaine. Mais le plus «chic» de tout, on y parle français; est-ce assez agréable tout de même ! Moi qui ne sait pas un mot d’anglais.
J’ai bien aperçu quelques côtes, mais on les mangera facilement et le docteur nous fera une clientèle. Pense donc, je me vois déjà à la tête d’une agence générale pour la maison B…C’est ça qui sera intéressant pour ma poche !!!
Allons, j’attends de tes nouvelles, et me dis ton ami.
* * *
4 avril.
Vieux copain,
Dieu ! Je t’ai parlé de quelques côtes dans ma dernière lettre ! Mais il y en a beaucoup ! On ne finit plus de grimper ! Si encore on avait du bon pavé, ce ne serait que demi-mal. Mais les rues sont affreuses et tu comprends que c’est rien moins qu’agréable.
Je t’entends t’exclamer : les rues sont affreuses ! Mais c’est partout cela ! Ah non ! ce n’est pas partout comme à Montréal ! Ce ne sont pas des ornières qu’il faut traverser, ce sont de vrais précipices ! On descend, puis on monte, c’est pire que d’être sur un navire au moment de la tempête.
Ainsi, tu vois où j’en veux venir : l’agence est à l’eau. Le docteur n’est pas satisfait autant qu’il le voudrait. Mais aussi, pourquoi trouve-t-on de tels chemins dans la ville la plus importante du Canada ? Je n’y comprends rien. J’ai su aussi, depuis, que toutes les marques françaises végétaient ici et il n’y a rien d’étonnant. Je m’étonne même qu’elles aient résisté si longtemps.
Allons, je le reverrai bientôt, car je partirai sous peu et je ferai part verbalement de mes impressions de voyage.
Tout à toi.
* * *
Et le journal La Patrie d’ajouter :
Ainsi, voilà les lettres qu’un amant de la vitesse envoyait à son ami à Paris. Il faut pourtant avouer que la chose est malheureusement trop vraie et que l’automobile ne fera jamais grands progrès à Montréal avec des rues dans un pareil état, surtout avec les côtes qui sont si nombreuses et si raides. Espérons que la nouvelle administration municipale saura voir ce point et que cette industrie presque nouvelle, ici, se développera comme partout ailleurs.
Et ajouterai-je :
Les récriminations de cet homme, qui voulait probablement représenter à Montréal un fabricant d’automobiles françaises, sont peut-être les premières d’une longue plainte qui dure depuis ce temps quand l’hiver est là dans les villes québécoises.
La publicité ci-haut provient de La Patrie du 6 avril 1908.