Amitié ou amour ?
Dans la chronique de La Patrie du samedi 1er avril 1905, Madeleine [de son vrai nom Anne-Marie Gleason] pose la question «Peut-on faire plus par amour que par amitié». La dame exprime d’abord son avis.
J’en suis venue à la conclusion que l’amitié est la plus admirable des choses après l’amour ! Et quoi que nous disions, elle n’inspirera jamais les sublimes folies, et les héroïsmes sacrés, dont l’histoire nous cite les faits, et auxquels la poésie a puisé ses plus grands accents.
Dans la vie simple et modeste des mortels de notre calibre, l’amour joue le premier rôle, on aime ses amies, mais la femme vraiment amoureuse de son mari sera prête toujours à lui sacrifier ses amitiés de façon plus ou moins ostensible.
Que l’on me prouve par des faits, non par des paroles creuses, quoique jolies, la supériorité de l’amitié sur l’amour, car autrement je n’en croirai absolument rien !
Tout de même pour ceux et celles qui savent combiner l’amour et l’amitié de façon à former un tout exquis pour le cœur, je vous avoue que la vie est joliment belle !
Puis Madeleine donne la parole à ses premières lectrices, car ce concours durera, dit-elle, tout les temps que viendront des réponses.
Clairette canadienne est la première à lui répondre :
Quelle bonne idée avez-vous de vouloir éclairer cette grave énigme ! Pour ma part à moi, je vous dis grand merci et je pense ainsi : C’est par l’amour que l’on peut faire le plus, car l’amitié est un devoir raisonnable et sacré qui ne grandit que volontairement, tandis que l’amour c’est une folie, mais la plus dangereuse de toutes et qui sait jusqu’à quel point peuvent conduire des sentiments égarés et sans frein.
Rievax y va de cette réflexion :
Certainement, on peut faire plus par amitié que par amour, car l’amour accorde des choses que souvent l’amitié refuserait.
L’amitié est plus clairvoyante, plus sensée, et surtout plus réfléchie, ce qui la porte naturellement à un meilleur jugement.
Ce qui sera un obstacle pour l’amitié n’en sera pas un pour l’amour, car l’amour n’on connaît aucun.
Une femme peut refuser quelque chose bien qu’il lui en coûte peut-être, mais elle le fera par amitié, et pour le bien de la personne à qui elle porte intérêt, tandis que cette même femme, par amour, accordera sans réflexion ce qu’elle vient de refuser au nom de l’amitié.
Petite abeille propose cette réflexion :
D’après ma faible expérience, je crois que nous pouvons faire beaucoup plus par amitié que par amour, car l’amitié est plus solide et constante, tandis que l’amour est égoïste et sujet à bien des caprices.
Les actes faits par amour peuvent être héroïques et plus grands que ceux faits par amitié, mais ils sont plus rares et moins fréquents. Ce n’est pas que nous n’ayons le désir d’en faire autant par amour, mais il existe une certaine contrainte qui nous empêche d’agir, qui ne se trouve pas dans l’amitié.
Ce que l’on fait par amour est généralement plus pour notre bonheur et satisfaction que pour la personne aimée, et par amitié les actes sont faits pour la personne elle-même.
J’ai beau retourner la question dans tous les sens, la réponse est plutôt ardue ! Déjà que le lien d’amitié est tellement différent et… généralement bien plus solide et pérenne que l’amour… Tout compte fait, les propos de « Petite abeille » me correspondent assez bien. Même si… Même si…