Nous sommes les enfants du grand siècle
Quelque part un jour, la porte de la cage s’est ouverte et 10 000 oiseaux se sont envolés de France avec leur chant du 16e siècle pour gagner les rives du Saint-Laurent, en Amérique. Et une grande partie de cette langue magnifique ne disparaîtra plus jamais.
Les soirs d’hiver près du poêle, aux champs l’été, à la veillée à se bercer sur la galerie, dans les camps de bûcherons ou dans les canots des voyageurs, on lui fera faire des pirouettes à cette langue, sans même souvent être conscient du bonheur des mots qui la composent. Simplement, elle fera consensus.
Graffinier, graffiniures, graffignes, timber pour tomber, maagner devenu magané, frémille pour fourmi, créable pour croyable, nèyer pour noyer, abrier pour couvrir, acconnaître, accoutumance, achaler, adon, allable, amanchure, appareiller, asteure, atriqué, balise, ballant, barbot pour hanneton, barguiner (tout à fait de France), bavasser, beau dommage, bébelle, bec pour baiser, bleuet, faire du boudin pour bouder, bouette pour boue, bourasser, bran de scie, broue, cachette, califourchon, cannelle pour bobine de fil, champlure pour robinet, couette pour natte, crigne pour la chevelure des chevaux, crique pour dent d’enfant, criquet pour grillon, cru pour humide, dale pour gouttière, débarbouillette pour gant de toilette, débiscaillé pour mal en point, dégelée pour volée de coups, dépoitraillé pour décolleté, drigail pour effets, attirail, écartillé, éjarré, enfarger, escousse, étrange pour étranger, étriver, fafiner, frimasser pour givrer, bruiner, gadelle pour groseille rouge, gargoton pour gosier, garrocher pour lancer, gazette pour journal, grincher, guenillou, jambette, jarnigoine, jaspiner pour bavarder, jugeotte. Et plusieurs centaines d’autres mots.
Qui souvent n’apparaissent plus dans les dictionnaires officiels, car, pendant ce temps, dans le pays d’où ces oiseaux venaient, on s’occupera à passer le rabot sur cette langue française, leur chant du 16e, la nettoyant, l’épurant, disait-on, la croyant, sans le dire, abâtardie, avilie, dégradée, la qualifiant plutôt poliment d’archaïque.
Ces gens d’Amérique ouvrent la bouche aujourd’hui et on croirait entendre encore Rabelais, Ronsard, du Belley, François 1er, Michel de Montaigne, Jacques Cartier, Marguerite d’Angoulème et Catherine de Médicis. Ils conversent comme au 16e, le grand siècle, celui qui, de tout temps, a fait la large place aux créateurs. Jamais il n’y eut de siècle, avant comme après, aussi peu normatif.
Quasi une soirée, mes amis, le 10 mars, à célébrer le chant de ces oiseaux, véritable patrimoine souvent perdu dans la vieille France, mais plus que jamais vivant au bord du Saint-Laurent, enrichi aussi de mots amérindiens.
Près d’une quarantaine, serrés comme des sardines, cordés comme du bois de chauffage, dans cette petite salle d’une ancienne maison de curé devenu Centre de diffusion des arts et du patrimoine, nous prenions plaisir à notre langue, pendant que le grand Michel-Ange à Rome, grimpé dans ses échafaudages, était à peindre le plafond de la chapelle Sixtine.
Nous nous trouvions soudain chanceux. Nous savions que nous venions de bien loin. Et nous entendions les nôtres en écho.
Cet événement, à Lévis, dans le cadre de la Francofête annuelle du mois de mars depuis 2011, s’est tenu au Centre de diffusion des arts et du patrimoine, secteur de Saint-Nicolas.
Merci beaucoup à Madame Marie LeBlanc, Conseillère en arts et culture, à la Direction de la vie communautaire du Service des arts et de la culture de la ville de Lévis, et à Madame Véronique Dumouchel, Directrice générale du Presbytère Saint-Nicolas — Centre de diffusion des arts et du patrimoine. Les photographies sont de Madame Dumouchel.
Le point de vue historique contribue à construire et à diffuser une image positive de notre langue. Une langue dévalorisée n’a aucune force politique ou culturelle, elle ne peut qu’emprunter la voie du déclin. Avant les années 1800, on ne connaissait pas la honte linguistique.
Merci à l’historien.
Comme on le dit souvent : la langue appartient à tous ceux qui l’utilisent et qui contribuent ainsi à la maintenir comme instrument politique, économique et culturel.
Christiane Loubier
Merci beaucoup, chère Christiane, de ces propos de sagesse.
Quelle délicieuse soirée en votre compagnie, elle aurait pu se prolonger encore, à ces mots colorés qui ont éveillé tant de souvenirs pas si lointains, rallumé des petits coins juste un peu endormis… Sur la route du retour à la maison, nombre d’autres expressions me venaient soudainement à l’esprit ! Entretenons ce patrimoine de la parlure, partageons le, répétons le ! Merci de garder la flamme bien allumée…
Cette journée du 10 mars avec les enfants de l’école Grand-Voilier de Saint-Nicolas en après-midi et la soirée avec les adultes fut pour moi un pur bonheur !
Que de mots déjà prononcés, hier il me semble…
On pourrait reprendre une chanson bien connu:
« Dans l’bon vieux temps ça s’parlait d’même
Ça s’parlait d’même dans l’bon vieux temps »
Merci de nous rappeler ces mots si souvent entendus
Et jamais perdus, rajouterais-je, chère Marielle.
Que de magnifiques et savoureuses expressions. J’aurais aimé être présent à votre conférence. Avec votre permission, je vais les copier-coller afin de me les rappeler de les faire revivre.
«Dépoitraillé » sera la 1ère sur ma liste !
Merci
Je vais vous dire, cher Monsieur Senécal : Quelle journée ce fut !
Magnifique texte ! Merci.
À quand la reprise de votre conférence ?
Pour être tout à fait franc, j’aimerais vraiment la reprendre quelque part, car nous sommes toutes et tous sortis fort heureux, le cœur plein d’exister. Reconnus pour ce que nous sommes. Merci beaucoup, chère Louise.
Bravo je en connaître plus
Ah, vous me faites beaucoup plaisir, cher Monsieur Cormiet, d’être tombé sur ce billet. Il me rappelle une soirée tellement agréable passée en compagnie d’une quarantaine de Lévisiennes et de Lévisiens en face de Québec. Pour moi, ce fut un pur bonheur, et je crois que la plupart aussi y ont vécu du bonheur. Nous retrouvions nos origines du 16e siècle.