Le pont de glace tant souhaité
Il y a plus de 100 ans, dans la presse québécoise, le mot sondage n’apparaît jamais. On ne semble pas intéressé à utiliser cette manière de connaître une opinion. Chose certaine, si on avait demandé aux habitants de Lévis et de Québec quel moyen ils préféreraient en hiver pour joindre les deux villes séparées par le fleuve Saint-Laurent, beaucoup auraient répondu «le pont de glace».
C’est tellement plus agréable que les traversiers qui supportent mal la présence des glaces ou les canotiers qui ne manquent pas l’occasion de hausser leurs prix.
La prise des glaces entre Québec et Lévis est aléatoire. En 27 ans, par exemple, de 1857 à 1884, le pont ne se formera que 14 fois. Et, même en place, il s’en trouve des raboteux qui ne sont pas de fréquentation facile. Aussi vive les quelques ponts de glace qui semblent de véritables miroirs ! Alors on exulte.
Voyez la joie du journal Le Canadien le lundi 21 janvier 1884.
Nous l’avons enfin notre pont de glace. Par-dessus le marché, il est à glace vive. Les citoyens de Lévis et Québec vont donc s’en donner à cœur joie sur la surface cristallisée du St-Laurent. C’est dans la nuit de samedi à dimanche que cet événement tant désiré est arrivé. À l’heure qu’il est, il y a déjà foule de gens qui l’ont traversé; d’autres ont préparé des places pour les patineurs, pour les glisseurs, pour les courses de chevaux. Quant aux bateaux, ils ont pris leurs quartiers d’hiver, et ils ont agi sagement.
Et, rapidement, on prend d’assaut le pont, y vivant de belles heures.
Le pont de glace est maintenant solide; des voitures ont passé dessus hier après-midi. On a posé une passerelle pour les piétons au quai du marché Finlay. Avant longtemps, les chemins seront tracés et balisés. Les deux bateaux traversiers ont pris leurs quartiers d’hiver au milieu du pont même, presqu’à mi-chemin entre les deux rives, un peu plus cependant du côté de Lévis que de Québec. On a commencé à préparer des ronds pour les patineurs. La glace est magnifique et il n’y a pas de doute que dans quelques jours, les amateurs des patins, du traîneau, etc., pourront se faire aller tant qu’ils voudront. (Le Canadien, 22 janvier 1884)
Le pont de glace. La glace est splendide, Aussi les amusements de toutes sortes sont déjà organisés. Une chaloupe à patins, appartenant à M. Allard, forgeron de Lévis, s’est balladée hier après-midi sur le pont aux applaudissements répétées de la foule. La corporation de Québec s’est empressée de placer un ponton pour l’avantage des cochers. Nos officiers municipaux méritent des félicitations pour l’activité qu’ils ont déployée en cette circonstance. (Le Canadien, 24 janvier 1884)
On est à élever deux énormes glissoires sur le pont. Plusieurs petites cabanes de bois ont aussi fait leur apparition; quelques-unes sont destinées aux patineurs et d’autres sont encore d’un usage inconnu. (Le Canadien, 26 janvier 1884)
Pour la première fois depuis qu’il est formé, le pont de glace a obtenu hier après-midi [un dimanche donc] toute la vogue des années passées. Il faisait cependant un froid très vif; mais il fait si bon après une semaine de rude labeur de faire un bout de promenade et de retremper ses esprits, qu’on ne regarde pas à la bise, D’ailleurs abstraction faite du froid, le temps était splendide et le soleil radieux. Toute l’après-midi [sic], des milliers de personnes ont donc circulé en tout sens, soit pédestrement ou en voiture, sur l’immense et plane surface congelée qui relie Québec à Lévis et qui ne disparaîtra que dans trois mois environ. Inutile de dire que vu du haut de la terrasse, le spectacle avait quelque chose de grandiose. Les patineurs y étaient aussi en grand nombre, sans compter les glissoires qui ont été très fréquentées. Il y a en outre un hyppodrome d’un mille de longueur sur lequel on a commencé hier à organiser des courses au trot. (Le Canadien, lundi le 28 janvier 1884)
Décidément, ce fut un bel hiver pour le pont de glace en cette année 1884 ! (et un petit sourire rieur s’installe en lisant que… le 26 JUIN, il était toujours en place…)