Tendant mes filets…
Chemin faisant, qu’ai-je donc attrapé le dernier jour de l’année ? Des moments, des instants de vie. Sans qu’on s’intéresse beaucoup d’ailleurs au lendemain.
En 1884, Le Sorelois annonce qu’à Trois-Rivières, «La pêche au petit poisson est commencée sur le Saint-Maurice. Elle promet d’être fructueuse cette année et les amateurs de mets délicieux s’en font une joie à l’avance.»
L’année suivante, selon Le Canadien, à Québec : «M. Jules Rhéaume, de St-Roch, a réussi à prendre, au moyen de deux lignes, 23 douzaines de petites morues [autre nom donné au petit poisson des chenaux] dans une seule marée. Cette pêche miraculeuse s’est faite dans la rivière St-Charles il y a une couple de jours.»
En 1886, à Québec, on se préoccupe du temps qu’il fait. «Décidément, la nouvelle lune va nous valoir une période de froid très vif. Mercredi soir, à l’observatoire de la citadelle, le thermomètre marquait 27 degrés au-dessous de zéro. À 7 heures hier matin, il marquait 20 degrés, et hier midi 10 degrés seulement.» Source : Le Canadien du 31 décembre.
Quatre années plus tard, en 1890, à Joliette, le souci est le même. «Depuis une quinzaine, la température, sauf quelques petites variations à de courts intervalles, se maintient au beau mais au froid intense fixe.» La Gazette de Joliette du 31 décembre. Mais on se console, car «Les pourvoyeurs de glace ont déjà commencé à se mettre à l’œuvre et s’occupent activement en la taillant, de tirer profit de celle que la rivière de l’Assomption en face de la ville.»
À Sorel, en 1891, le chroniqueur du journal Le Sud n’est guère heureux. «Pas la moindre apparence de neige à une époque aussi avancée ! Aussi tout en souffre ! Le commerce est mort. Ce matin, au marché, il n’y avait que quelques voitures. Pour le marché du jour de l’an, c’est pauvre.» Mais il se rassure. «La température malsaine et pluvieuse que nous avons eue jusqu’ici est enfin changée. Espérons que ce temps doux qui détruit nos voies de communication, nuit à notre commerce et apporte la maladie, ne reviendra pas de sitôt.»
Et les chemins ne sont guère plus beaux à Québec selon La Gazette de Joliette. «Noël est passé et les voitures d’été sont le seul moyen de transport. À Québec, pareille chose n’était pas arrivée depuis quarante-trois ans.» Toujours selon ce journal, ce n’est guère mieux à Joliette même. «Sous le rapport climatérique, l’automne cette année dans cette partie de la Province de Québec a été sans pareil on pourrait dire. Trois pouces de neige à l’heure où nous écrivons; nous en avions d’ordinaire à ne savoir qu’en faire. À Noël, nous pouvions nous croire aux premiers jours de la froide saison. Nous marchions sur un sol ça et là découvert et peu avant il avait plu. Des vieux de 80 ans nous ont dit qu’ils n’avaient jamais vu chose semblable.»
En 1892, à Trois-Rivières, selon Le Trifluvien, le petit poisson se fait désirer. «On n’en a encore pris qu’en petite quantité et selon toute apparence la pêche ne sera pas très abondante, cette année.» Et le pont de glace sur le Saint-Laurent est dangereux. «Le pont de glace n’est pas encore bien solide en face de notre ville. Hier et avant-hier, plusieurs voitures en traversant ont failli passer sous la glace qui cède en plusieurs endroits, mais heureusement il n’y a pas eu d’accidents graves.» Mais, en Haute Mauricie, tout va bien. «Les derniers froids ont rendu les chemins sur le haut du St-Maurice en très bon état et les marchands de bois en profitent pour envoyer des provisions dans les chantiers. La coupe du bois se fait avec activité.»
À Lévis, en 1894, voilà les voleurs. «Les voleurs ne se gênent pas de ce temps-ci. La nuit dernière, ils ont opéré à St-Joseph de Lévis, près du pont de fer. Chez M. André Bissonnette, on a enlevé tout un lard débité, 50 livres de beurre et des pâtisseries, de quoi fêter le jour de l’An comme il faut. Chez M. Jean Bilodeau, on n’a pas été plus gêné et ce matin on a constaté la disparition d’un lard et de plusieurs volailles. M. Paquet, commerçant de bois, s’est fait voler, lui, une certaine quantité de bois.» Le Quotidien du 31 décembre. On a tout de même une bien bonne pensée pour les pauvres et les orphelins logeant l’hospice Saint-Joseph; des donateurs leur apportent trois douzaines de dindons, deux quartiers de bœuf et 36 livres de bonbons.
En 1895, à Trois-Rivières, voilà le pont de glace à la dérive. «Nous assistons aujourd’hui au spectacle de la débâcle, comme en plein printemps. Le fleuve charroie des quantités énormes de glace et le service de la traverse est forcément interrompu. Partis, les solides ponts de glace. À quand les bateaux ?» Le Trifluvien du 31 décembre. Ce fait s’explique par le temps doux, car le journal s’empresse d’ajouter : «Nous avons eu, samedi et dimanche [les 28 et 29], deux splendides journées… de printemps. C’est le cas de le dire, quand on voit ces cultivateurs de la banlieue entailler leurs érables, et celles-ci couler comme en avril. La sève n’est peut-être pas aussi riche en saccharine, mais elle est abondante tout de même, et M. Chs. Milette, cultivateur de Ste Marguerite, a trouvé le moyen de faire une dizaine de livres de sucre avec la sève retirée de ses érables. La même opération a été faite avec succès sur les érables qui embellissent notre parc. On nous mande, d’un autre côté, de St Grégoire et de Ste Gertrude que les cultivateurs de ces paroisses ont labouré leurs terres, vendredi, sans plus rencontrer de difficultés qu’au printemps. Ces deux faits prouvent assez la température exceptionnelle dont nous jouissons ici et dans les environs.»
En 1901, selon Le Courrier de Sorel, la maladie frappe Saint-Ours. «Le Dr Vary, du bureau de santé, a découvert, la semaine dernière, neuf nouveaux cas de picote. Les maisons où sont ces variolés ont été mises en quarantaine et placardées.»
Et voilà qu’en 1908, à Québec, la crèche de l’église Saint-Sauveur fait la nouvelle. «La foule ne cesse d’affluer à la crèche de l’Enfant Jésus. Faut dire aussi qu’elle est la plus belle de la ville et qu’elle est d’un réalisme frappant. Il a fallu plusieurs jours d’un dur labeur pour faire l’installation de ce chef-d’œuvre du genre. C’est une fête pour les enfants que d’aller voir et contempler le Divin Enfant dans sa Crèche.» Le Soleil du 31 décembre.
Et réjouissons-nous, dit Le Soleil de 1909. «C’est demain le jour si impatiemment attendu de ceux qui s’attendent à recevoir des étrennes. Les enfants surtout ont hâte que le jour de l’an soit venu. C’est aussi le jour des réunions de famille. On vient de partout, de tous les coins de la ville, de la campagne et même de l’étranger pour se réunir sous le toit paternel. On oublie, en ce beau jour, les petites divisions de familles pour se rappeler qu’on est époux, épouse, fils, fille ou parent.»
La gravure de la traversée du Saint-Laurent en hiver fut publiée dans L’Opinion publique du 11 mars 1880. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec au descripteur «Ponts de glace».