En août, tout le monde a droit aux vacances, sauf…
Le mois d’août est la saison des vacances. Chacun, suivant son métier, suit ses goûts dans cette affaire de récréation et de repos.
Il est nécessaire pour le cerveau humain d’avoir quelque repos, surtout pendant les grandes chaleurs. Nous avons dit que chaque personne agit, en cette occasion, suivant ses goûts et inclinations.
Le docteur ferme son cabinet ou le laisse aux soins d’un étudiant ambitieux de parvenir; il va se retremper dans l’air frais pour pouvoir combattre à nouveau les maladies et la mort et, chose assez curieuse, pendant l’absence du disciple d’Esculape, plusieurs malades reviennent à la santé.
Le marchand confie à ses commis le soin de faire marcher la boutique; jusqu’au teneur de livres, qui s’absente pendant près de deux semaines, pour débarrasser sa tête des nombreux chiffres qu’il voit, même en rêve.
L’avocat laisse de côté les codes criminels et civils, pour aller courir le pays comme un Juif-Errant; ses clients profitent de l’occasion, et règlent leurs différends à l’amiable.
Les professeurs se sauvent bien vite dans un endroit écarté et tranquille, et oublient toute leur science et connaissances, pour se récréer dans le baume de la nature.
Les artistes s’envolent comme des oiseaux de passage, de place en place, faisant un croquis par-ci par-là, ou jouissent d’un air pur et régénérateur.
L’éditeur d’un journal fait partie de l’excursion annuelle donnée par la «Presse associée» et, s’il a le bonheur de pouvoir supporter toutes les fatigues des banquets et échapper aux accidents de chemin de fer, il retournera à son ouvrage avec une vigueur et une santé grandement améliorée.
Le journaliste, pauvre diable, lui, n’a pas le temps de courir la campagne et les bois; le public inexorable est là qui attend les productions de sa plume, guidé par un cerveau plus ou moins fatigué. C’est le rocher de Sisyphe, qui retombe toujours sur lui. «Allons, cheval de charme, laboure ton champ de nouvelles.»
Le membre du clergé quitte ses ouailles et les laisse à la merci de celui dont on dit : «Querens leo quem devoret». Satan alors triomphe, dit-on. C’est un sujet qui n’a pas encore été bien éclairci.
En un mot, du plus petit jusqu’au plus grand, dans les professions dites libérales, chacun cherche le repos en août.
L’ouvrier seul, et le journaliste, sont attachés à la peine, font leur peine d’enfer sur terre; espérons qu’ils iront au paradis, car ils l’auront bien mérité.
La Tribune, 22 août 1890.
L’illustration, une scène de vacances d’été à la Pointe de Rivière-du-Loup, dans le Bas-Saint-Laurent, en 1919, provient de Bibliothèque et Archives nationales du Québec Vieux-Montréal, Fonds Famille Landry, Souvenirs de famille, Photographies, cote : P155, S1, SS1, D385.