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Un bel homme s’amène danser

Un monsieur, étant mort, avait été transporté à l’établissement mortuaire où, après avoir subi sa dernière toilette, il avait été placé dans la bière qu’il ne devait plus quitter et laissé dans l’appartement réservé à ce genre d’opérations.

Le propriétaire vivait au premier, au-dessus de son établissement de pompes funèbres, et tout croque-mort qu’il était, il aimait la joie et les fêtes.

Ce soir-là, il y avait un grand bal chez lui, et, pendant que l’entrain était à son apogée, on vit paraître un monsieur très bien habillé qui commença par danser avec la femme de l’entrepreneur, puis avec sa fille, et paraissait s’amuser beaucoup.

Le croque-mort se disait : «Pourtant je connais cet homme. Je l’ai vu quelque part». Mais il avait beau se gratter le front, il ne trouvait pas. Cette physionomie ne lui était pas étrangère et c’était justement pour cela qu’il n’osait lui demander son nom, espérant le trouver à la fin.

Cependant le bal était fini, tout le monde s’était retiré, et seul l’étranger n’avait pas l’air de songer à la retraite. Cela devenait ennuyeux, et le croque-mort se décida à demander au danseur s’il désirait une voiture pour retourner chez lui.

— Je vous remercie bien, Monsieur, répondit l’inconnu, c’est inutile, car je demeure dans cette maison.

— Vous demeurez dans cette maison ! fit le croque-mort stupéfait; qui donc êtes-vous alors ?

— Comment, monsieur, ne me reconnaissez-vous donc pas ? Je suis le cadavre que vous avez porté ici aujourd’hui.

L’entrepreneur horrifié courut à la chambre mortuaire et trouva en effet la bière vide. Sa femme et sa fille avaient dansé toute la nuit avec un mort !

C’était le cas de demander une explication à ce mort hardi, et il la fournit de bon cœur. N’étant qu’en catalepsie, il était tout à coup revenu à la vie, et, entendant la musique et les ébats joyeux au-dessus, il se rendit bientôt compte de la chose.

Comme il aimait beaucoup la plaisanterie et que l’occasion était bonne pour en faire, il quitta sa bière, dont le couvercle n’avait pas encore été vissé, et alla rejoindre la joyeuse compagnie. Il était en toilette très présentable, car on l’avait habillé avec élégance.

 

Source : La Tribune (Saint-Hyacinthe), 17 août 1888.

L’illustration d’Eugène «Tit-Pouce» Champagne est parue dans La Patrie du 2 janvier 1900. Âgé seulement de 39 ans, Champagne est décédé chez son frère, à Montréal, le dimanche matin 31 décembre 1899. La Patrie écrit qu’il était «le plus fort danseur du Canada» et avait même remporté «plusieurs prix et médailles aux États-Unis».

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