Le Quiscale bronzé
Fort étrange qu’à ce jour, en 2 962 articles sur ce site, je n’ai jamais parlé du Quiscale bronzé (Quiscalus quiscula, Common Grackle), ce grand oiseau au plumage noir à queue en forme de «V». Quand même. Et voilà un autre oiseau qui ne portait pas le nom qu’on lui donne aujourd’hui. On l’appelait Mainate pourpre, puis Mainate bronzé. Tour d’horizon de ce qu’en disent nos ornithologues.
Dans Ornithologie du Canada (1861), James M. Lemoine écrit : Le Mainate pourpre ne justifie pas en Canada la mauvaise réputation qu’il a dans le sud des États-Unis. Là, on le considère comme un insigne larron, un voleur de jeune maïs et de blé : larcins qu’il expie souvent avec sa vie. Au printemps, il rend un service inestimable à l’agriculture en dévorant les hordes innombrables de parasites destructeurs, de larves, et de chenilles, comme pour compenser les dégâts qu’il causera plus tard. C’est un fort bel oiseau, facile à apprivoiser et doué de chant. […] Les rayons du soleil ont un superbe effet sur son plumage lustré et noir comme l’ébène; à certains rayons d’incidence, le bronze cuivré est remplacé par un azur brillant, auquel succédera du saphire lequel se fondera en vert d’émeraude. Pendant ce temps, l’oiseau étendra sa queue, baissera les ailes, enflera sa gorge et fera sonner son cri d’appel pour attirer l’attention des oiseaux qui passent au vol dans les environs. […] La chair de cet oiseau est sèche, coriace et manque de saveur, comme celle de la Corneille. On rencontre ce Mainate pendant l’été, dans des régions fort septentrionales.
En 1883, dans son petit livre Les Oiseaux du Canada, Charles-Eusèbe Dionne affirme qu’il porte le nom populaire d’Étourneau aux ailes bronzées. «Ce bel oiseau se voit par bandes au printemps et à l’automne. Il va couver vers le nord et place son nid sur des arbrisseaux qui croissent dans les marais. Sa ponte est de 5 œufs bleu tendre avec taches brunes.»
L’ornithologue Dionne, dans Les Oiseaux de la Province de Québec (1906), écrit : «Il vit de grain, de graines, souvent nuisibles, de chenilles et autres larves de divers insectes, d’écrevisses, de cerises sauvages, etc.»
L’oiseau continue à avoir bonne réputation auprès de P. A. Taverner, Les Oiseaux de l’Est du Canada (1920). «Avec ses couleurs métalliques et ses yeux jaunes, c’est un oiseau magnifique et d’un éclat frappant. Il se pavane sur le gazon avec une affection comique et des gestes bizarres pendant qu’il laisse entendre ses accents plutôt discordants.»
Claude Mélançon, dans Charmants Voisins (1940), est sans pitié pour le «Ménate bronzé», qu’on appellerait, selon lui, Étourneau au Québec. «Cette concession faite [l’amour de ses petits], le Ménate demeure un assez vilain personnage. De plus, il est sans grâce, sans voix et sans finesse, dépourvu même du petit charme canaille qui rend parfois indulgent à l’égard de la Corneille. Il vaut mieux ne pas parler des sons qui sortent de son gosier rouillé. Des saxophones jouant sans mesure, sans rythme et sans thème peuvent seuls produire un ensemble aussi désagréable qu’un chœur de Ménates. En vol, aucune souplesse. Il se déplace avec la rigidité d’un avion-jouet. Mais l’habitude de vivre en troupe l’a discipliné. Il garde son rang dans le voilier et manœuvre avec la précision d’un grenadier allemand. Ce n’est pas la seule affinité avec la soldatesque. Voyez-le se promener sur nos pelouses ! Son pas est raide, son port insolent. Il traîne sa queue comme un sabre. Il donne l’impression d’être en pays conquis, de défier les premiers occupants du territoire.»
Chez moi, le Quiscale bronzé est de passage en avril, faisant partie des grandes bandes d’oiseaux noirs. Il passe quelques jours à se nourrir de tournesol, puis continue sa route vers le Nord. Je le vois réapparaître à la fin de juillet, sa famille étant élevée. Il gagnera bientôt de grands dortoirs d’oiseaux noirs dans le sud-ouest du Québec, regroupés pour entreprendre la migration.
Il m’est arrivé de vivre une histoire bien triste avec un quiscale. Je la raconte dans mon ouvrage Un citadin à la campagne. Quatre saisons à Sainte-Anastasie.
Le 30 novembre, le voici soudain dans la cour, seul parmi tous les autres oiseaux. «Je l’observe longuement. Il ne s’approche des mangeoires que lorsqu’elles sont désertes. On dirait un croque-mort à mante noire, les yeux largement ouverts, qui vient prendre son dû. Si je sors, il s’éloigne à peine, sans pousser de cri.»
Le 4 décembre : «Le Quiscale croque-mort est toujours là, silencieux, asocial, refusant de s’approcher des autres.»
Le 15 décembre : «Mon Quiscale croque-mort s’est trompé de saison. Le froid finira par avoir raison de lui. Lentement, la vie s’immobilise. Depuis trois jours, il passe de longs moments, seul, couché dans le plateau de tournesol noir sous le larmier de la galerie. Sans même pourtant manger. À peine à l’abri du froid, posé sur une réserve de nourriture, il semble avoir trouvé là le refuge définitif, une espèce de sein nourricier. Sentant sans doute venir la mort, il se laisse entrer totalement dans les étapes finales, s’abandonnant complètement au froid qui l’engourdit. Ma présence à la fenêtre ne l’effraie plus. On dirait qu’il n’a plus la force de résister.»
Le 16 décembre : «Ce matin, après une nuit de moins 240C, mon quiscale, figé, est mort dans le plateau.»
Cet oiseau savait assurément qu’il n’avait plus la force d’entreprendre une longue migration et avait choisi ce lieu pour ses derniers jours.
* * *
Dates des premières observations du Quiscale bronzé (Quiscalus quiscula, Common Grackle) chez moi :
1985 : 26 mars
1988 : 19 mars
1989 : 26 mars
1990 : 17 mars
1991 : 22 mars
1992 : 5 avril
1993 : 8 avril
1994 : 1er avril
1995 : 17 mars
1996 : 22 mars
1997 : 29 mars
2000 : 26 mars
2001 : 4 avril
2002 : 17 mars
2003 : 22 mars
2004 : 20 mars
2005 : 30 mars
2006 : 16 mars
2007 : 18 mars
2008 : 28 mars
2009 : 12 mars
2011 : 20 mars
2012 : 15 mars
2013 : 14 mars
2014 : 5 avril
2016 : 16 mars
2017 : 2 avril
2018 : 29 mars
2019 : 21 mars
2020 : 20 mars
2021 : 23 mars
2022 : 22 mars
2023 : 25 mars
Merci pour ce beau texte.
Gérard
Merci, cher Gérard, merci tellement pour cet appui en faveur d’un oiseau dont personne ne respecte.
J’en ai environ 75 dans la grande haie de cèdre voisine. C’est tellement, mais tellement fatiguant de subir la monstrueuse cacophonie de leurs cris d’intimidation dès que je sors dans la cour. Ouache! J’ai hâte que les petits s’envolent enfin des nids!
Mais j’avoue que c’est un bel oiseau, probablement plus intelligent que la moyenne comme tous les mainates.
Beaux textes!
Bien intelligent, en effet. Mais il ne m’a jamais été donné de vivre ce que vous vivez. Probablement que ça devient, à la longue, insupportable. Dans les Bois-Francs où je suis, ils ne sont que de passage. Ils préfèrent filer vers le Nord, en tous cas, plus au nord.
Bonjour, j’ai vue chez moi a Rivière-Rouge dans la mangeoire un Quiscale Bronzé le 16 juin 2020.
Merci de lire mon commentaire.
Merci à vous, chère Linda, d’enrichir cette réflexion sur le Quiscale bronzé.
On est aujourd’hui le 16 août 2020 et moi depuis quelques jours ces beaux oiseaux que j’appelle gentiment ma gagne de rue sont de retour. Il vide rapidement mes mangeoire que je remplis avec plaisir je demeure à Ste-Adèle PQ et ça me fait toujours rire de voir arriver ma gagne de rue
Bravo, Gin, de les considérer ainsi. Je les aime bien, moi aussi. Tant de gens détestent les « oiseaux noirs », y compris les quiscales, bien sûr.
Bonjour, est-ce qu’il y en a qui ont la queue blanche? J’ai ce qui semble être des quiscals dans ma mangeoire aujourd’hui, mais un a la queue blanche.
Aucun quiscale, chère Vous n’a la queue blanche. Il peut s’agir cependant d’un oiseau qui présente une partie de lui-même comme un albinos. Ça se voit, mais c’est très rare.
J’habite en abitibi et ça a commencé à geler depuis cette semaine. Je les pensais parti vers la chaleur, mais je les ai vu vider ma nouvelle mangeoir aujourd’hui..est ce qu’ils attendent la neige pour partir?? :p
Cher Marc Lemoine, chez moi, dans les Bois-Francs (dans mes dossiers d’observation, il faudrait que je vérifie l’année), il m’est arrivé qu’un d’eux décident de passer l’hiver. Le pauvre était décédé après une nuit de moins 32.
Cela dit, habituellement, chez moi, les quiscales ne passent pas l’été. Ils passent, demeurent quelques semaines, puis montent plus au nord. Et il repasse à l’automne, pour filer ensuite vers le sud.
Bonsoir Monsieur Provencher, est-ce que vous savez si les quiscales ne font que passer en Estrie??? Nous avons commencer à nourrir les oiseaux seulement cet hiver, et cette semaine (25 mars) des hordes de quiscales et d’étourneaux a fait leurs apparitions. Je dirais au moins 20 quiscales et encore plus d’étourneaux, qui ont prit les mangeoires d’assaut repoussant les plus petits oiseaux.
Hier soir en lisant quelques textes sur les quiscales nous avons décidé de retirer les mangeoires en espérant que la population ne s’invite pas chez nous de façon permanente … c’était un peu creve-coeur de voir les petits juncos, mésanges et roselyns chercher la nourriture ce matin… on ne sait pas quoi faire, avez-vous des conseils?
Merci à l’avance!
Chère Stéphanie, à mon avis, il, ne faut pas vous en faire, si je me fie à ce que je vis chez moi dans les Bois-Francs. D’abord, les quiscales ne seront là, tout au plus que trois ou quatre semaines, car ils n’aiment pas passer les doux temps avec nous, en bas, et vont poursuivre leur voyage. Ils ne vivent qu’une escale en ce moment..
Les gens ne les aiment pas, surtout parce qu’ils défèquent sur les galeries.
Votre groupe d’étourneaux va se morceler à mon avis, parce qu’arrive le temps des amours et il faut le vivre en couple, chacun de son côté.
Les juncos, chez moi, ne vont guère dans les mangeoires, ils préfèrent manger au sol. Les mésanges et les roselins vont aux mangeoires. Mais si j’observe le rythme des espèces, je constate qu’elles arrivent à se succéder, qu’elles ne sont pas toujours présentent aux mangeoires. Elles laissent de la place à d’autres.
À votre place, je ne retirerais pas les mangeoires.
Bravo de vous occuper des oiseaux !
Merci pour ces précieuses infos sur notre mainate…heu quiscale…bronzé.Moi aussi , j’aurais de belles histoires à raconter à propos de cet extraordinaire oiseau.
Merci à vous, Slim, de votre témoignage.
Et bien oui belle histoire.
Par contre.en estrie il passe l’été chez moi ..chasse les autres oiseaux.
S’approprie les mangeoire . Ses petits naissent ici .
Et non ne quitte pas les parages du printemps et 18 juillet 2022 ENCORE dans mes mangeoires..
Bel oiseau ..mais j’aimerais bien qu’il passe son chemin. Si mangeoire moins pleime bide celle des pics bois! Aime beaucoup les peanuts..
Chère Madame Boivin, je ne sais trop quoi vous dire.
Chez moi, rares sont ceux qui passent l’été avec moi. Cette année, j’en ai un seul et il n’arrive pas à s’imposer. Les Chardonnerets jaunes, Roselins pourprés et Carouges à épaulettes prennent vraiment plus de place.
Bonne chance avec vos p’tits diables.
Bien qu’ils soient de vrais goinfres, j’iame bien malgré tout les voir vider une mangeoire trop petite pour eux en gang bien organisé: l’un fait l’acrobate afin de faire basculer la mangeoire pendant que la trentaine de copains mangent au sol! Ils passent 2 fois par jour, laissant le champs libre aux plus petits oiseaux le reste du temps. J’imagine qu’ils vont éventuellement migrer plus au sud pour l’hiver, le Nord-du-Québec c’est pas chaud…
Super, la description que vous en donnez ! Merci beaucoup.
Oui, ils migrent plus au sud pour vivre l’hiver. Chez moi, l’un d’eux était sans doute à la fin de sa vie, a choisi de vivre où je suis (dans les Bois-Francs) et de se coucher carrément sur une table abondante de tournesol, mise là pour les Gros-becs errants. Et je l’ai trouvé, rapidement, décédé. Il n’avait sans doute plus l’énergie pour migrer.
Et, un de ces jours, vous nous direz où vous êtes, dans le Nord-du-Québec. En Abitibi, un pays bien accueillant ?
Je trouve que le quiscale est un superbe oiseau, ses couleurs, son plumage. J’adore le prendre en photo.
Malheureusement, ils se déplacent en colonie et deviennent rapidement les « intimidateurs » des petites espèces.
Ils vident mes mangeoires en quelques heures et chassent les plus petits.
Ce n’est pas que je ne les aime pas, mais je n’aime pas leur comportement.
Je cherche actuellement un moyen de les tenir loin de chez moi, et jusqu’à présent, la seule solution que j’ai, c’est de cesser de remplir mes mangeoires, privant ainsi les autres espèces de la nature à cause de cette espèce envahissante et intimidante pour les autres oiseaux.
Chez moi, dans les Bois-Francs, chère Madame, ils ne sont là qu’un temps, au printemps. Entre quatre et six semaines. Et, sans doute que, par la suite, ils filent plus au nord.
Donc il n’est pas trop embêtant. Chez moi, j’entends.
Bonne soirée.