Douze superstitions québécoises (seconde de deux parties)
Dans La Patrie du 1er avril 1893, le chroniqueur A. Beauchamp se lance dans la présentation de 12 superstitions québécoises. Hier, nous avons publié la première partie de son article; voici donc la seconde. Retrouvons le fil.
5. Quand on se trouvait parmi des gens «capables de jeter des sorts», on se préservait de leurs maléfices en se tenant le bout du pouce de la main droite dans le creux de la main gauche. C’était un préservatif toujours à la main, comme on le voit; mais comment faisait celui ou celle qui, par un accident quelconque, avait perdu le pouce de la dextre ? Mes connaissances ne vont pas jusque là.
6. Les jeunes filles de nos Pères étaient des filles d’Eve, comme elles l’ont toujours été et le seront toujours, c’est-à-dire que l’idée du mariage était celle qui les préoccupait le plus. Quand, donc, elles voulaient connaître celui qui leur était destiné, elles avaient recours au moyen suivant :
Elles versaient de l’eau chaude dans une carafe, mettaient un blanc d’œuf dans cette eau et agitaient ce mélange durant quelques minutes. S’il se formait des globules ressemblant à de petites fioles, le futur époux devait être médecin. Si le mélange donnait l’apparence de tablettes, on devait épouser un marchand; s’il offrait quelque ressemblance avec des roues, un mécanicien devait être le futur de la belle superstitieuse. Mais si le blanc d’œuf délayé dans l’eau chaude formait des poches ou petits sacs, le futur, hélas ! serait quêteux.
Il y avait un autre moyen de connaître son futur roi et maître. Les jeunes filles faisaient, avec les allumettes de cèdre du papa, une échelle minuscule qu’elles plaçaient sous leur oreiller, avant de se mettre au lit. Elles devaient, lorsque le rêve produirait toute son illusion sur l’âme, voir monter et descendre, dans cette échelle, celui que la Providence leur réservait, et, dans ce cas, elles reconnaissaient sa profession ou son métier par les habits que lui prêtait l’imagination de la Belle-au-Bois-dormant. […]
7. Pour forcer l’amoureux ou le faraud à leur être fidèle, les filles lui offraient une tasse de café ou de thé auquel elles mêlaient deux ou trois gouttes de leur propre sang, tiré, au moyen d’une aiguille, de la poitrine et du côté du cœur. Il paraît que c’était un remède infaillible : après avoir bu cette médecine, l’amant brûlait d’un amour éternel.
8. Il ne fallait pas, non plus, se regarder, admirer son joli minois dans un miroir, le soir, car on était certain d’y voir le diable et ses cornes. Ici, la superstition l’emportait sur la vanité et la coquetterie féminine; car
Un petit coup d’œil au miroir
Donne plus d’éclat à nos charmes;
Et, quelque sûres de nos armes,
On est bien aise de savoir
Si rien n’affaiblit leur pouvoir,
Il faut, pour calmer ses alarmes,
Un petit coup d’œil au miroir.
9. Si l’on se prenait à regarder la nouvelle lune ayant, sans préméditation, quelque chose dans la main gauche, on pouvait compter sur un cadeau avant la fin de la lune.
10. Mettre deux épingles en croix sur ses habits, ou deux couteaux, etc., sur la table, était un présage assuré d’un malheur prochain.
11. Il ne fallait pas non plus, après avoir entrepris un voyage, revenir sur ses pas, dans le cas même où on aurait oublié quelque chose d’important; car un voyage interrompu de cette manière devait mal finir.
12. On avait aussi plusieurs moyens de se guérir des maladies qui affligent la pauvre humanité : jaunisse, rougeole, picote, etc. Par exemple, pour une hémorragie chez une femme, on revêtait la malade d’une chemise d’homme; mais il fallait que cette chemise fût très sale : plus elle était malpropre, plus le remède était efficace.
Je m’arrête à la douzaine, quoique le nombre des superstitions fût très étendu. Tout cela prête plutôt à rire qu’à pleurer. Nos Pères, sur les champs de bataille, étaient de véritables lions; au foyer domestique, ils redevenaient de grands enfants crédules et naïfs.
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