Des loups-garous de France
Le Québec n’a pas inventé les loups-garous, bien sûr que non. On trouve le loup-garou dans plusieurs pays occidentaux. Et peut-être que le loup-garou est apparu ici de France, sous le Régime français.
Qui sait, il a pu y avoir des loups-garous dans les Français venus. Qui peut nous certifier que parmi les hommes qui gagnaient le Canada pour trois ans comme «engagés», ou même parmi les Filles du Roy arrivées à Québec pour sauver le pays du manque de femmes, il ne se trouvait pas de loups-garous ? Comment savoir ? Peut-être qu’il y en eut, comme cette dame à l’anneau d’or, dans cette histoire-ci, qui se changeaient en loup-garou au cours des nuits canadiennes ?
À Montréal, La Patrie du 7 janvier 1893 reproduit un article de G Lenôtre, historien et auteur dramatique français, sur une rencontre avec un des bouquinistes des quais de la Seine, «tout à l’extrémité de Paris, aux environs du pont de la Tournelle». Les deux hommes ont l’habitude de piquer des jasettes. Et ce jour-là, le vendeur de livre l’entraîne sur la piste des loups-garous.
Dans une rangée de vieux livres, l’homme sort Discours exécrable des sorciers, une édition de 1605. «Assujettissant ses lunettes, le père Claude feuilleta quelques pages, puis il lut :
«La dispute est grande pour savoir si les hommes peuvent être changés en bestes : les uns ont tenu l’affirmative, les autre la négative… Dans l’église des Jacobins de Poligny étaient les portraits de Michel Udon, Philibert Montot et Gros Pierre, loups-garous brûlés en 1521; Gilbert Garnier, brûlé en 1571, a avoué qu’il s’était mis en loup-garou plusieurs fois…
Jacques Bocquet, Claude-Jean Guillaume, Georges Candillon ont confessé que, pour se mettre en loups, ils se frottaient premièrement d’une graisse, et puis Satan les affublait d’une peau de loup qui les couvrait par tout le corps : les habillements des enfants qu’ils reconnaissent avoir tués et mangés se sont trouvés par les champs tout entiers sans déchirure quelconque, tellement qu’il semblait bien que c’était une personne qui les eût devestus… Ces trois loups-garous ont été brûlés en 1594 : on trouva que leur peau, qui semblait être un peu humaine et naturelle, n’était autre que la dépouille d’un loup, qu’ils portaient le poil en dedans. Pour se remettre en leur état ordinaire, ils se vautraient dans la rosée ou bien se lavaient à l’eau.»
— Quelle fable me contez-vous là, dis-je au vieux bouquiniste.
— Ce n’est pas une fable. J’ai là deux ou trois livres du même genre, remplis de faits curieux et prouvés, vous entendez ? prouvés; il est hors de tout doute, par exemple, qu’en 1588, dans un village distant de deux lieues d’Apchon, dans les montagnes d’Auvergne, un gentilhomme, étant le soir à sa fenêtre, aperçut un chasseur de sa connaissance et le pria de lui rapporter de sa chasse.
Le chasseur en fit promesse, et, s’étant avancé dans la plaine, il vit devant lui un loup qui venait à sa rencontre. Il lui lâcha un coup d’arquebuse et le manqua. Le loup se jeta aussitôt sur lui et l’attaqua fort vivement. Mais l’autre, en se défendant, lui ayant coupé la patte avec son couteau de chasse, le loup estropié s’enfuit et ne revint plus.
Et, comme la nuit approchait, le chasseur gagna la maison de son ami, qui lui demanda s’il avait fait bonne chasse. Il tira aussitôt de sa gibecière la patte qu’il avait coupée, mais il fut bien étonné de voir cette patte convertie en main de femme, et, à l’un des doigts, un anneau d’or que le gentilhomme reconnut être celui de son épouse. Il alla aussitôt la trouver. Elle était auprès du feu et cachait son bras droit sous son tablier. Comme elle refusait de l’en tirer, il lui montra la main que le chasseur avait rapportée; et cette malheureuse, tout éperdue, lui avoua que c’était elle, en effet, qui l’avait poursuivi sous la figure d’un loup-garou, ce qui se vérifia encore en confrontant avec le bras dont elle faisait partie. Le mari livra sa femme à la justice et elle fut brûlée, comme bien vous pensez.
— Je commence à soupçonner, père Claude, que vous vous amusez à mes dépends; il est impossible qu’à notre époque un homme sensé croit à ces enfantillages.
Comme s’il hésitait, il me fixa avec ses petits yeux malicieux, et, tout à coup :
— Voulez-vous en voir ? me dit-il.
— Voir quoi, des loups-garous ? certes !
— Oh, vous n’avez pas à aller bien loin : tenez, vous apercevez ce clocher là-bas, au-dessus des arbres du jardin des plantes.
Et il me montrait du doigt le dôme de la Salpêtrière.
— Eh bien ! c’est là qu’on les enferme aujourd’hui : on ne les brûle plus, on les douche. Il y a des alcooliques qui se croient devenus serpents et qui rampent sur le ventre; des femmes qui se figurent être chiens et qui aboient toute la journée — comme le fils du grand Condé qui ne se guérit jamais de cette maladie; — des hommes qui hurlent à la lune et qui, si on lâchait par la ville, se mettraient à galoper dans les rues comme des loups enragés… et les lycanthropes du moyen âge paraissent à nos esprits forts une chose impossible ! Mais leur mal étrange est resté aussi mystérieux, aussi indéfinissable, aussi invincible qu’il fut jamais; les savants lui ont donné un nom pour faire croire qu’ils y comprennent quelque chose… mais je ne crois pas aux savants, moi, et je crois aux loups-garous !… Ainsi !…
Le père Claude haussa les épaules d’un air de bravade, referma sa bibliothèque et ajouta en manière de conclusion :
— Voyez-vous, notre vieux Montaigne a donné la solution de toutes choses le jour où il a écrit son fameux Que sais-je ?
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