Pourquoi pas rêver
Il m’arrive parfois de rêver. D’imaginer une grande histoire de l’alimentation au Québec depuis les Amérindiens avant l’arrivée des Européens jusqu’à aujourd’hui.
Nous voici à la librairie E. Tremblay, au coin des rues de l’Église et de la Cour, à Arthabaska. Chez Tremblay, on trouve des ouvrages français, américains et anglais, de la papeterie, des plumes assorties et des encres variées, des feuilles de musique, des parfums, des remèdes et médicaments de toutes sortes d’un usage général, et même le célèbre vin Mariani.
Mais gagnons l’annexe, toujours chez Tremblay, où on offre une grande variété de produits alimentaires. En voici l’énumération, dit L’Écho des Bois-Francs du 17 novembre 1894.
Petits pois français, macédoine de légumes, petites fèves ou flageolets, champignons de Paris, pâtés de foie gras, olives de Lucques, moutarde française, sardines à l’huile française, huile d’olives extra-fine de Plagniol (grand prix de l’exposition de Paris), réglisse de Florent, figues de Syrie, fromages fins, câpres françaises, chocolat Menier et Trébucien, gélatine française; marinades anglaises Cross et Blackwell, conserves de gingembre, sardines en boîtes, homard, saumon et maquereau en conserve, petits pois canadiens; maïs et tomates en boîtes; fluid beef de Johnson, pêches de Niagara en conserve, poires Bartlett de la Californie en conserve, Nestle’s milk Food, Warcestershire sauce Leo et Perrin, vin de quinine de Campbell, vin Saint-Raphaël, vin Mariani. De plus, vrai savon de Marseille, dit de castille et bougies de luxe en couleur et trouées.
Cette simple énumération peut sembler banale, mais elle parle. D’abord elle nous dit la variété des produits disponibles dans une petite municipalité de la région des Bois-Francs au Québec à la fin du 19e siècle. Et puis elle prend aussi tout un sens, si on l’insère dans une longue ligne du temps relative à l’alimentation : la nourriture des Amérindiens de Place-Royale à Québec avant la venue des Français, celle des Français du site de Cap-Rouge en 1541-1543, celle sur la table d’un gouverneur au Château Saint-Louis sous le Régime français ou d’une auberge à proximité, celle offerte en vente dans les magasins de Place-Royale à Québec entre 1820 et 1859 ou au London Coffee House, celle-ci d’Arthabaska, celle du restaurant Kerhulu, inauguré côte de la Fabrique, à Québec, en 1925, et ainsi de suite jusqu’à maintenant. Et nous ne parlons pas des manières d’apprêter tous ces produits. Quelle richesse d’informations mises bout à bout !