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Ces «gouttes» pour bébé qui tuent

Dans sa chronique du Monde illustré du 18 août 1888, Léon Ledieu s’arrête net pour changer de sujet et aborde une grave question, ces «gouttes» qui tuent. Je me rappelle que, durant les années 1950, il y avait un sirop, qu’on disait s’appeler nâni ou nanny, qu’on donnait au bébé pour calmer son mal de dents qui poussent et l’aider à dormir. Mais sans doute que cela n’avait rien à voir avec ce dont parle Ledieu.

Quelque chose de plus idiot encore cependant, à mon avis, une chose criminelle même, c’est l’habitude qu’ont, malheureusement dans notre pays, beaucoup de mères de famille de vouer leurs enfants à une mort presque certaine ou tout au moins à des maladies sérieuses, en leur donnant des sirops opiacés afin de les faire dormir.

C’est mal bien comprendre ses devoirs que d’agir ainsi.

Je trouve dans la Gazette médicale de Montréal un excellent article sur le sujet, par le Dr J. Asselin, et j’en détache un passage dont la lecture pourra être utile à plus d’une lectrice du Monde illustré :

«Pourquoi les bonnes, mais imprudentes mamans donnent-elles à leurs bébés ce qu’elles appellent généralement des gouttes ? La réponse est assez facile : «Mon enfant ne fait que pleurer, crier, il nous fait passer des nuits blanches, et mon mari, après sa journée de travail, est bien aise de se reposer et souvent celui-ci me dit : «donne lui donc quelque chose pour le faire dormir; je suis, à la fin, agacé de ces cris continuels, fais les donc cesser.» — Quoi donner, sinon des gouttes. — La voisine, dit le père, a fait prendre je ne sais combien de bouteilles de tel ou tel sirop, et vois comme ses enfants se portent bien.

«Oui, mais ce père oublie que, sur dix ou douze enfants, il ne lui en reste que trois ou quatre, les autres étant morts dans les premiers mois de leur existence Je ne veux pas dire, ni même insinuer que ces fameux sirops sont toujours coupables, mais malheureusement, quand ils ont été introduits dans la famille, ils sont toujours redoutables et ils doivent au moins expliquer leur présence dans la maison. Il est en général plus que probable qu’ils ont été des aides dangereux dans ces tristes circonstances. Cette funeste habitude s’acquiert d’une manière facile.

«Au début, les gouttes produisent un effet magique. Cet enfant qui, tout à l’heure, criait, comme disent les parents, à fendre l’air se calme et s’endort. Pendant ce temps-là, le père et la mère se livrent de leur côté au sommeil. Oh ! quel merveilleux sirop, disent-ils.

«Oui, mais que de passe-t-il chez l’enfant ? Ce calme trompeur que nous lisons sur sa figure n’a pas longue durée. Il dort mais son sommeil est agité. Il a des soubresauts. Il dort, mais forcément d’un sommeil fatigant; voyez sa figure; le lendemain matin, elle est pâle, les yeux sont abattus, les paupières sont boursoufflées, les traits sont tirés, la tête est lourde, appesantie; en un mot, l’aspect général indique le malaise et la fatigue. Les cris que, la veille au soir, l’opium avait modérés, empêchés, reparaissent plus aigus, plus stridents. Ce sommeil peu réparateur rend durant le jour les enfants maussades, insupportables, et pour avoir de nouveau la paix, on a recours de nouveau aux gouttes.

«La mère s’en réjouit; elle pourra faire son ouvrage et elle ne sera pas troublée par les impatiences de son mari. Le soir, la scène de la veille se renouvelle; mais ici il y a une variante, le nombre de gouttes est augmenté : «Il dormira plus tranquille peut-être, ce pauvre petit !» Et, ainsi de suite, jusqu’à ce que les parents nous disent : «Je ne compte plus maintenant, docteur, je donne à peu près.»

«Cet à peu près est terrible, et je n’ose m’arrêter à cette pensée qu’un grand nombre d’enfants ont été de cette manière involontairement empoisonnés.»

Tout cela est très vrai; mais, malgré tout l’amour que peut ressentir une mère pour son enfant, l’habitude l’emporte, et ainsi que l’a dit Bossuet : «L’accoutumance nous ôte ce qu’il y a de plus vif dans le sentiments.»

 

Le 9 mars 2012, nous revenions sur le sujet.

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