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Qu’est-il donc advenu à l’Islet au Massacre ?

Vous êtes-vous déjà arrêté au Bic, dans le Bas-Saint-Laurent ? Quel paysage magnifique. Et une population locale fort sympa. Il me semble avoir lu quelque part qu’à la fin de la création du Monde, Dieu avait dans le fond de sa poche une poignée de cailloux qu’il a abandonnés à cet endroit. Et, parmi ces cailloux, se trouve l’Islet au Massacre.

Celui qui signe Alfred dans L’Album universel du 19 septembre 1903 ne veut pas que se perde la légende de l’Islet au Massacre.

«Hâtons-nous de recueillir les légendes populaires avant qu’elles ne s’oublient», disait un de nos conteurs canadiens.

J’apporte ma modeste contribution.

«Ma légende» n’a, je l’avoue franchement, d’autre mérite que de vous être inconnue. Là-bas, au pays où je l’ai entendu raconter, on la reconnaîtra, et c’est tout. Mais un grand nombre ne la connaissent pas : c’est là mon excuse.

En face du Bic — dont quelques-unes des montagnes ont évidemment roulé dans le fleuve — se trouvent des îlots escarpés, sauvages, aux flancs abrupts, hérissés de noirs sapins, reliés au rivage par mille caillous [sic] bizarre et déchiquetés, à mer basse, entourés d’une ceinture d’eau infranchissable, à mer haute.

L’un d’eux porte le nom excessif et terrible de «L’Islet au Massacre».

* * *

Un jour, les oiseaux chantaient, le fleuve scintillait, les corneilles et les autres oiseaux pêcheurs venaient enlever les poissons de ses eaux, qui se retiraient.

Tout à coup, le chant des oiseaux cessa; les corneilles firent des cris tumultueux et s’élevèrent en désordre, des poissons aux écailles luisantes dans leurs becs.

Sur la rive, maintenant à sec, une troupe de Hurons débouche précipitamment.

Les guerriers ont l’air abattu; les enfants pleurent, et leurs mères, qui essaient en vain d’étouffer leurs cris, les aident à sauter, de roc en roc, jusqu’à l’islet — qui n’est pas encore l’islet au massacre.

Dans cet îlot, une grotte. On s’y réfugie.

L’émoi cesse : les oiseaux reprennent leurs chants; et, dans la grotte, les fugitifs, traqués depuis trois jours comme des bêtes fauves, se laissent tomber pêle-mêle sur les durs caillous et s’y reposent — enfin.

Ils viennent d’un village assez éloigné.

Trois jours auparavant, tous dormaient, paisiblement, dans leurs wigwams.

Au milieu de la nuit, un cri de guerre !

Ce sont les Iroquois…

Le combat dura jusqu’au matin, acharné, sanglant…

Ceux-ci, seulement, s’échappèrent.

Les Iroquois, d’abord occupés à scalper les morts, se remirent à la poursuite.

Mais ils espèrent avoir enfin déjoué leurs ennemis.

Trois des plus courageux sont demeurés dans les bois, pour prévenir tout danger possible, toute surprise.

* * *

Ces éclaireurs, ne sont-ce pas eux qu’on aperçoit maintenant ?

Oui. Et il y en a plus que deux…

Ils courent, comme des chiens poursuivis par une bête des bois.

En quelques élans désespérés, ils sont rendus.

Alerte ! Voici l’ennemi !

Les enfants redoublent de pleurs. Les femmes, prises de l’énergie du désespoir, aident leurs maris à élever à l’entrée étroite de la grotte un rempart d’arbres abattus.

* * *

Hélas !

Le feu a raison de l’abattis; il pénètre dans le refuge des malheureux; et, avec lui, les farouches Iroquois.

Le tomohawk a vite immolé ceux qu’a épargnés la fumée…

* * *

Il y a quelques années, on visitait encore la grotte presque inaccessible où eut lieu le carnage.

Depuis, une large pierre, détachée de la falaise, en a masqué l’entrée. Les sapins se penchent en vain pour en surprendre les secrets.

Aujourd’hui, sur la rive en partie déboisée, des Anglais ont bâti des cottages.

De blonds enfants courent, là où furent peut-être égorgés les derniers survivants; pendant que des ossements brisés blanchissent, dans le silence et l’obscurité de la grotte, fermée à jamais.

 

La photographie des îles du Bic vues de l’est prise en 1948 par J. W. Michaud provient de Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds ministère de la Culture et des Communications, Office du film du Québec, Documents iconographiques, cote E6, S7, SS1, P622890.

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