Skip to content

«Lettre du pays voisin»

Octave Crémazie est passé à l’histoire comme le premier poète québécois. À l’occasion, nous en parlons sur ce site. Mais s’il fut le premier, il ne sera pas le plus grand. D’autres viendront avec de la poésie plus achevée, et davantage universelle. Tout de même, en son temps, beaucoup l’ont aimé.

Un Franco-américain, E. Migré, habitant Hartford, Connecticut, fait parvenir une lettre au quotidien montréalais La Patrie rendant hommage au poète Octave Crémazie. Le journal la publie à la une le 10 septembre 1886.

 

J’ai promis à quelques amis que cet automne, sitôt les froids revenus, nous nous réunirions chez moi deux ou trois fois la semaine pour lire les vers de Crémazie. J’ignore toutefois s’il existe une édition de ses œuvres. S’il n’en existe pas, il va me falloir feuilleter les Revues où sont éparpillées les strophes du poète. Le travail sera long, je le sais; mais une fois les recherches terminées, nous roulerons nos fauteuils près de l’âtre et je ferai la lecture à haute voix. Ces soirées-là, j’en suis sûr, ne seront pas perdues.

Crémazie n’était sûrement pas un ciseleur. C’était un homme doué d’un talent réel et qui a su admirablement bien exploiter la veine populaire. De là vient le succès qui s’attache à son nom. Dans toute la littérature canadienne, il n’y a que [François-Xavier] Garneau qui puisse, de ce côté-là, lui être comparable. Ce que l’un a fait en prose, l’autre l’a fait en vers. Tous deux ont contribué également à river dans l’âme du peuple le sentiment de la fierté nationale. Certes, voilà qui est beau, voilà qui est grand, voilà qui est noble. Mais de là à admettre que le poète, du haut même de son piédestal où ses chants patriotiques l’ont placé, puisse nous apparaître comme un maître devant lequel la critique doit se courber et se taire, il y a toute la largeur du fleuve qu’il a si bien chanté.

Crémazie appartient à l’école de Lamartine. Voilà pourquoi j’ai peur d’exhumer ses vers. Peut-être vais-je les trouver vieillis et presque mal faits au point de vue de la facture. Cela ne m’étonnerait pas, toutefois; du Lac au Vase brisé, la distance est si grande !

Jadis c’était la pensée qui prédominait; aujourd’hui c’est la forme. On m’a dit pourtant que le poète avait beaucoup lu les auteurs modernes. Mais lesquels ?

Je ne vois que Gautier qu’il a malheureusement trop imité dans la Promenade des trois morts.

Quoiqu’il en soit, je conserverai toujours pour Crémazie une admiration réelle. Je n’oublierai jamais qu’il a été le poète de ma jeunesse et que je l’ai lu dans toute l’effervescence de mes belles années. C’est lui qui, le premier, dans ses œuvres, m’a appris à aimer la poésie. Je ne l’ai pourtant point connu personnellement. J’étais enfant quand il est parti pour l’exil. Seulement, plus tard, quand j’ai pu comprendre ce qu’il avait souffert, je l’ai plaint et je l’ai aimé davantage.

Crémazie a été l’ami intime de mon père. Il venait autrefois régulièrement dans ma famille. C’est à peine pourtant si je me souviens vaguement d’un homme assez large d’épaules, très brun, qui entrait le soir sans frapper et qui suspendait son feutre dans le vestibule, en fredonnant toujours le même refrain que je n’ai jamais entendu depuis et dont j’ignore même la mesure :

«L’amour qu’est-ce que c’est que ça ?»

 

J’ignore si Migré a pu tenir ses soirées au coin du feu à lire les vers d’Octave Crémazie. Chose certaine, j’espère qu’on a su lui éviter une recherche de textes, que quelqu’un l’a mis sur la piste de cet ouvrage dont on voit la page titre ci-haut, un livre publié en 1882, quatre ans avant que Migré ne songe à ses soirées.

J’ai trouvé ce livre sur les quais de la Seine; on le vendait 20 Francs.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS