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Un miséreux en prison

À Québec, en 1900, il n’y a pas de maison pour sans-abri. L’errant, arrêté pour «vagabondage», peut donc être tout de suite condamné à la prison. Le journaliste Léon Ledieu dénonce ce fait dans L’Album universel du 18 juillet 1903.

Voici le temps de la villégiature, le moment où les touristes abondent, voyagent et circulent à grands frais, la saison où nos riches citadins vont aux villes d’eau, dans des hôtels qui exigent cinq ou sept piastres par tête et par jour, pour le luxe de tapis et la nourriture, souvent inférieure, qu’ils «donnent» à leurs clients.

L’argent roule, mais les pauvres ont-ils seulement les miettes des banquets des riches ? Je ne le crois pas.

Québec a le plus bel hôtel au Canada, le Château Frontenac, qui est une petite merveille. Québec a tout ce qu’il faut pour recevoir les riches, mais Québec n’a que sa prison pour loger ses pauvres.

Il n’y a pas huit jours, un miséreux, un vieillard de quatre-vingts ans, a été ramassé par la police, comme n’ayant ni feu ni lieu, comme vagabond.

Vagabond à quatre-vingts ans !

Et la chose était vraie. Le pauvre vieux n’avait ni foyer, ni pain, ni amis, ni parents. D’où venait-il ? Il ne le savait guère. Chemineau par force, il disait venir de là-bas et aller là-bas.

Là-bas, c’est-à-dire n’importe où on lui donnerait une croûte à manger, et un abri pour dormir.

La ville n’ayant pas de refuge, le recorder [aujourd’hui, le juge de la Cour municipale] fut obligé de l’envoyer en prison, où il a dû rencontrer d’autres misérables dans le même cas.

On entend trop parler de religion et pas assez de charité. Ne pourrait-on pas se décider à fonder à Québec un refuge, un asile de nuit et même de jour aussi, où l’on pourrait recevoir les malheureux, en attendant que l’on prenne une décision sur leur cas.

La prison est un établissement très bien tenu, quoique aussi laid que son nom, mais il y existe une promiscuité que l’on ne devrait pas imposer à des pauvres dont le crime est de se trouver sans resources et sans parents ou amis.

Le maire de Québec [Simon-Napoléon Parent], qui a déjà tant fait de bien à la ville dont il est le premier magistrat, devrait bien amener un jour cette question devant le conseil municipal.

Son nom et son influence suffiraient pour mener à bien une œuvre dont le besoin est, malheureusement, loin d’être illusoire.

 

Au sujet de Léon Ledieu, né à Arras en France et habitant Québec, journaliste et traducteur à l’Assemblée législative du Québec, voir le dernier paragraphe de cet article.

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