Skip to content

Marieville a son prophète du temps

Voilà quelqu’un qui prétend pouvoir dire avec certitude le temps qu’il fera. John Murphy. Le journal La Patrie lui donne la parole le 29 juin 1906. Et il parle d’abondance.

M. John Murphy, de Marieville, pendant longtemps conseiller, puis maire de cette prospère petite ville du comté de Rouville, connu par toute la province comme expert en chevaux, en politique, chef de file à ses heures, n’est pas un type ordinaire. Mais ce qui le distingue d’entre ses compatriotes, dans toute la vallée du Richelieu, c’est la réputation, bien méritée d’ailleurs, d’être un prophète presque infaillible de la température.

M. Murphy prédit d’une façon tellement précise le temps qu’il fera qu’il n’est pas rare de voir des gens venir de loin, des paroisses avoisinantes, pour s’assurer des lèvres mêmes du «bonhomme Murphy» des risques que la température peut leur faire courir. On rapporte que le médecin de l’endroit ne part jamais pour des courses éloignées sans demander à M. Murphy quelles précautions il doit prendre contre le mauvais temps possible.

Ne manquez pas de vous servir de votre voiture recouverte aujourd’hui, docteur, et soyez bien protégé contre la pluie, dira le père Murphy. Nous aurons un orage qui ne sera pas de paille.

M. Murphy passait à Montréal ces jours derniers et un reporter de La Patrie n’a pas cru devoir manquer cette occasion de présenter le «bonhomme» à nos lecteurs.

M. Murphy est d’accueil très facile. Bien que parlant le français très couramment, M. Murphy a le type de sa race — l’irlandaise — et du plus pur, puisque son père et sa mère sont venus de Yipperary [y aurait-il méprise pour Tipperary, les fautes de frappe dans les journaux sont nombreuses à l’époque ?] s’établir au Canada. Au physique, c’est la copie fidèle d’un des personnages enjoués de Dickens, Pickwick, par exemple, d’après les étampes du temps, et il faut avouer que M. Murphy ne manque pas de l’esprit de répartie du héros du grand littérateur anglais.

Oui, dit-il à notre reporter, on m’a fait la réputation d’être un prophète du temps. Je dois confesser qu’en effet, il m’arrive bien rarement de me tromper. Ainsi, pour vous en donner une idée, dans toute l’année dernière, je n’ai fait erreur qu’une fois, le 7 septembre, alors que j’avais annoncé une gelée blanche.

Et que pensez-vous, père Murphy, des pronostics météorologiques qui nous viennent de l’observatoire de Toronto et que publient les journaux ?

Eh bien ! Je vais vous dire, répond M. Murphy avec hésitation, essayant de prévoir, en scrutant le regard de son interlocuteur de ses petits yeux bleus et vifs, l’effet de sa réponse, je vais vous dire : J’aime bien les journaux. C’est une excellente chose, mais il faut avouer que pour ce qui est de la température, plus souvent qu’autrement ils se trompent. Ensuite, vous remarquerez que les journaux vous diront : si le vent est sud, il fera telle chose; si le vent est nord, telle autre. C’est des «si» et des «mais» qui ne nous avancent guère. Moi, je vous dis, le soir, la température qu’il fera le lendemain et il est bien rare que je fasse erreur.

Puis, M. Murphy, en réponse à nos questions, explique un à un tous les indices sur lesquels il se base pour prédire la température. Avant tout, c’est le soleil qu’il appelle, lui aussi, le grand pompier de la nature. C’est par le soleil couchant qu’on peut, le plus sûrement préjuger du temps du lendemain. Si le soleil se couche beau, sans petits nuages, avec des rayons bien «propres», c’est signe de beau temps. Si, dans le cours de la journée, le soleil devient entouré d’un léger cerne et qu’il y ait des nuages dans le voisinage, c’est le mauvais temps à brève échéance.

L’arc en ciel joue aussi un rôle important. L’arc en ciel du soir, pourvu qu’il encercle sans interruption l’hémisphère céleste, est un sûr indicateur du beau temps pour le lendemain. Si vous ne voyez qu’un bout de l’arc en ciel, le temps sera douteux.

Si, le soir, le soleil paraît et se couche dans des nuages blancs, cotonneux, c’est de la pluie dans les 24 heures.

Le vent joue un rôle important dans le pronostic du temps. En général, dit M. Murphy, les vents du sud et du sud-est nous apportent de la pluie. On peut aussi dire que les vents nord et nord-est nous occasionnent rarement de la pluie. Vents sud-ouest, généralement beau temps. Nord : beau temps.

M. Murphy n’a pas confiance dans la lune. C’est bon à rien pour prévoir le temps, dit-il; la lune est bonne pour éclairer, c’est tout.

D’autre part, il a une confiance absolue dans les indices fournis par les animaux. C’est ainsi que, si les vaches se couchent dans l’avant-midi, nous aurons inévitablement de la pluie avant minuit. Si le temps est calme et que vous entendiez la voix des oiseaux de loin, attendez-vous aussi à de la pluie à brève échéance.

Les fleurs servent aussi à faire des conjectures sérieuses sur la température. La veille d’une journée de pluie, vous verrez les fleurs le matin prendre une belle apparence; ceci s’entend de toutes les fleurs, même le pissenlit.

Les nuages ont aussi leur importance. Si vous voyez des nuages blancs en long (stratus) placés en arrière de paquets de laine (cumulus), dit M. Murphy, attention au mauvais temps. Mais, cependant, le soleil peut être assez fort pour tout «clairer cela».

C’est vous dire, ajoute M. Murphy, qu’il est impossible de poser par écrit des règles fixes pour préjuger exactement le temps qu’il fera. C’est par l’expérience de nombreuses années, une conversation réfléchie et, aussi, certaines qualités naturelles qu’on y arrive. […]

M. John Murphy, qui est âgé de 69 ans, et père d’une nombreuse famille, demeure à Marieville où il s’occupe de soigner les animaux de ferme, bien qu’il ne soit pas vétérinaire. On vient souvent le chercher de plusieurs lieues à la ronde.

 

Ci-haut, Pickwick, le personnage de Charles Dickens, une aquarelle de Kyd (Joseph Clayton Clarke) archivée à l’adresse suivante.

Quelle histoire !

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS