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Les importuns

Parfois, il vous arrive sûrement d’avoir une pareille visite. Et c’est toujours lorsque, pressé par le temps, nous le souhaitons pas. Ils vous viennent sans trop de raison que de placoter, peut-être même parfois de médire de l’un ou de l’autre. Proposez-leur alors de tourner talon et d’aller lire ce petit article de L’Écho des Bois-Francs du 5 mai 1900. Il est signé Guêpe et cette personne d’Arthabaska les appelle «les flâneurs». Un texte étrange tout de même, car on cherche à l’occasion où loge son auteur.

 

Il y a dans ce bas monde une classe spéciale dont la destinée semble être d’exercer la patience de leurs semblables. C’est, on peut le croire, une petite déveine pour ceux qui sont victimes de ces faiseurs de rien. Quelquefois, on les souffre, mais généralement ils finissent toujours par être encombrants.

D’ailleurs leur seule présence est un encombrement, et tout le temps que dure leur visite fatigante, celui qui la souffre ne peut que maugréer contre la création d’une telle classe de parasites. Ils viennent vous trouver, si occupé que vous puissiez être, et, sous toutes sortes de prétextes futiles, que l’on comprend facilement, et croyant vous amuser, ils s’efforcent de tirer de leur cerveau une foule de choses, plus assommantes les unes que les autres. Imaginez l’intérêt que peut avoir un homme occupé à s’entendre raconter des historiettes pour tuer un temps qui est précieux. Imaginez-vous aussi l’amitié que vous pouvez avoir pour un être qui ne dit avoir rien à faire et qui va faire perdre le temps des autres.

Time is money, disent les Américains; et nous pourrions dire que celui qui vient ainsi nous arracher inutilement à notre travail, nous vole, nous enlève un temps précieux destiné à nos occupations journalières. Il y a de ces endroits que les flâneurs se plaisent à fréquenter de préférence, vu que vous savez, le propriétaire est un homme indulgent qui ne dira rien, et vous laissera écouler votre conversation.

Il faut être logique; nous ne sommes plus au temps où les années étaient si longues qu’il fallait se chercher un remède contre l’ennui. Aujourd’hui tout nous pousse, et l’homme qui veut arriver à un but profitable n’a pas une minute à perdre, pas un instant à donner aux flâneurs. Les affaires, voilà le point; hâtez-vous lorsque vous êtes en affaire, et lorsque les heures d’affaires seront passées, c’est le temps pour vous de songer à rencontrer vos amis.

Un exemple nous est donné par un grand financier français qui ayant visité le Canada, et, après avoir reçu avec empressement, invitait un de nos compatriotes à le visiter, lui promettant force amusements. Notre compatriote, un beau jour à Paris, eut rien de plus pressé que de se rendre chez son ami. Quelle surprise ! Le financier le reçoit poliment à la mode des hommes d’affaires et lui dit : Pardonnez-moi, je ne puis vous voir avant trois heures.»

Notre compatriote, habitué à autre chose, sort tout énervé et se promettait déjà de ne plus le voir; lorsque se ravisant, il se dit qu’il fallait faire l’épreuve de cet homme. À trois heures, il se rend à l’endroit indiqué et rencontre le financier tout sourient et dépouillé de sa figure de bureaucrate. Ce n’était plus le même homme. Notre compatriote comprit alors que les Français comme les Américains comprennent que chaque chose doit se faire en son temps. C’est d’ailleurs un grand moyen pour se faire estimer. Le flâneur est généralement un grand parleur qui vous assomme avec les nouvelles de tout le canton, qui ne craint pas de raconter en les modifiant les choses qu’il aura vues, qu’il aura entendues. Enfin, le flâneur qui vous prend votre temps est un homme désagréable, qui vous vole votre temps, qui vous expose à des retards, souvent regrettables, et que l’on devrait chasser impitoyablement comme une nuisance malsaine.

Le principe est celui-ci : si vous avez affaire à quelqu’un, rencontrez-le, consultez-le, si besoin, conversez d’affaire, et hâtez vous de ne pas ennuyer votre interlocuteur; soyez toujours chez vous, et l’on ne s’habituera pas à dire de vous «allez à tel endroit, vous allez le trouver». Non c’est chez vous que vous devez être, car soyez certain que si vous faites bien ce que vous avez à faire, et si vous observez le «Mind your own business», votre bilan sera meilleur à la fin de l’année, et les flâneurs s’étonneront de voir que vous réussissez. Restez à votre poste; ne faites rien si vous le voulez, mais au moins soyez à votre poste, c’est déjà une recommandation.

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