Elle était si belle !
Il y a quelque trente sept ans passées, par un beau jour de mai, une jeune fille de seize ans, d’une famille fort respectable, disparaissait de la bonne vieille ville de Québec. Elle était d’une beauté remarquable et remplie de talent et d’esprit. Depuis le commencement de l’année, ses institutrices avaient constaté chez elle une mélancolie inexplicable, la jeune fille attribuait cela à son état de santé, le père s’en alarma un peu et l’on espérait qu’aux vacances tout disparaîtrait.
Quand on constata la disparition de la jeune fille, le père fut prévenu ainsi que la police, mais toutes leurs recherches furent inutiles. Tout ce que l’on put découvrir fut la disparition d’un élève du séminaire, à la même heure avec autant de mystère.
On comprit ce qui était arrivé, c’était un enlèvement préparé avec soin et une sagesse surprenante.
Où étaient allés les fugitifs ? Ils ne pouvaient avoir de grandes sommes d’argent. On attendit des jours; des semaines, des mois se passèrent et pas de nouvelles.
Enfin après quinze mois d’attente et de chagrin pour les deux familles, un Canadien de Fall River [en Nouvelle-Angleterre] descendit à Québec et rencontrant par hasard le père de la jeune fille disparue, lui donna des nouvelles précieuses.
Un jeune couple remarquable par leur beauté physique étaient arrivés à Fall River en mai 1868 et avait été marié à l’église Notre-Dame par le Rvd. de Montaubrick.
C’était bien le couple fugitif. Le lendemain, le père partit pour Fall River, muni des renseignements fournis par le Canadien en promenade.
À Fall River, une nouvelle déception l’attendait; le jeune couple était parti pour New-Bedford; il s’y rendit. On le dirigea vers les «blocs de briques», les Canadiens étaient peu nombreux alors, on se connaissait tous. Le père eût vite trouvé le gîte de ceux qu’il cherchait. Comme il entrait dans les appartements de sa fille, celle-ci était à faire la toilette d’un gros bébé. Ce fut une scène.
Cette visite n’amène pas cependant la réconciliation; pour une raison ou pour une autre, on ne put s’entendre et le père partit en maudissant son enfant et son séducteur.
Pendant quelques années encore, le ménage continua à être heureux; grâce à son instruction, le jeune homme obtint de l’emploi dans un magasin, puis comme contremaître aux Wamsutta, c’était un ménage modèle, la jeune femme était très industrieuse, gagnait de l’argent de son côté; on vivait heureux.
Quelques années après cependant, on remarqua que les époux faisaient un usage immodéré des boissons. Le mari perdit son emploi, la femme qui avait eu le malheur de rester belle eut des adorateurs; bientôt leur maison fut un lieu de désordre et de débauches. Des personnes charitables prirent avec elles le petit garçon et une charmante petite fille qui était née aux jeunes époux et les élevèrent dans le bien.
La malédiction du père semblait faire son œuvre terrible. Le mari abandonna le toit conjugal et la jeune femme descendit le dernier échelon de déshonneur et de la dégradation. Les enfants ont grandi et la malheureuse femme vient de mourir dans la plus abjecte misère sans se reconnaître publiquement.
Ses enfants lui ont donné une sépulture convenable; il est à espérer qu’au moment fatal, une pensée, un élan d’amour divin, souvenir du jeune âge, a pu fléchir le cœur du souverain Juge.
Cette histoire ressemble plutôt à un roman qu’à une réalité; cependant de nombreux témoins nous affirment que ce n’est malheureusement que trop la réalité. Les preuves sont évidentes et les jeunes peuvent y puiser une terrible leçon.
À la une de L’Écho des Bois-Francs du 5 mai 1900.
L’illustration de la femme à l’ombrelle peinte en 1886 est du peintre français Claude Monet. On peut la voir au Musée d’Orsay à Paris, une visite obligée si vous séjournez dans la capitale française.
Une histoire touchante, très plausible à cette époque. Un bel amour si mal compris…et encore aujourd’hui…!
J’aime me faire raconter ces récits d’une autre époque.
Bonne journée à vous.
Merci, chère Vous. Vous avez bien raison : si mal compris… encore aujourd’hui.