Des biens pour les sinistrés
En avril 1903, le Québec connaît un mois très sec, si bien que de grands feux de forêts éclatent ici et là au nord du fleuve Saint-Laurent.
Dans La Patrie du 11 mai 1903, Madeleine consacre sa chronique hebdomadaire à l’aide aux sinistrés de ces incendies. Elle l’intitule «À travers le Nord».
Je viens de traverser le beau pays où tout brûle. J’ai vu les incendies immenses des montagnes, j’ai respiré l’âcre parfum de ces bûchers géants et, en admirant le panorama de feu, je songeais à ces chers colons qui voient, dans une minute d’indicible horreur, tout leur bien s’en aller en petite flamme bleue, là-haut.
J’évoquais la voix toute compatissante de Madame Dandurand me lisant ce fragment de lettre :
«Tout est brûlé : grange, écurie, maison; tous les meubles, le linge, les habillements de toute la famille, le semences, les pommes de terre, tous les instruments pour la culture, deux cochons, toutes nos provisions pour l’année et en même temps les livres que vous m’aviez envoyés. Cela me fait bien de la peine de ne pouvoir vous les rendre.» […]
Quel navrement; le cœur en fait mal !
La pauvre créature dont le bien vient d’être dévasté tout de suite a fait appel à la douce générosité de la femme dont la charité est bien connue.
C’est par son œuvre des livres gratuits que Madame Dandurand devient la bienfaitrice de tous ces braves gens qui, à la veillée, se reposent, se délassant l’esprit par la lecture… C’est une bien noble pensée qui a inspiré cette fondation de haute charité, car on comprend quel bienfait c’est pour les colons, — pour tous ceux qui n’ont pas de livres — de recevoir ainsi, gratuitement, des ouvrages où ils puisent la vie intellectuelle nécessaire à tout être intelligent.
Nous qui ne sommes privés de rien, pouvons-nous imaginer avec quelle allégresse les livres gratuits sont reçus dans nos campagnes, et quel bien il en résulte pour l’instruction de notre peuple ? […]
Madame Dandurand, par son œuvre des livres gratuits, se trouve en constant contact avec les habitants de nos campagnes. Et quand arrivent les malheurs, on les dit à cette bonne dame qui envoie de si beaux livres, croyant bien qu’elle trouvera encore le moyen de secourir les souffrances. C’est ainsi qu’une brave femme de Namur, petit village du nord de Montréal, a écrit à Madame Dandurand la lettre plus haut insérée. […]
Voici la prière adressée à toutes les Canadiennes désireuses de faire la charité à tant de dignes personnes que le feu vient de si lamentablement éprouver :
«L’Œuvre des livres gratuits se charge de faire parvenir tous les dons en linge, effets, etc., aux pauvres colons ruinés.
Les ménagères à cette époque de grand ménage et de revue générale des garde-robes trouvent là une belle occasion d’utiliser les vêtements hors d’usage qui les encombrent. Qu’on ne craigne pas d’envoyer des choses un peu usées. Les mères de familles sont expertes dans l’art de faire des vêtements neufs pour les petits dans les vieux habits des grands.
Il faut porter les dons à l’Œuvre des livres gratuits, Bureau de Poste, rue Saint-Jacques, Montréal. On peut remettre au garçon d’ascenseur.»
* * *
Et je vous écris cette prière sur les bords du lac Labelle, dont les flots chantent leurs mélodies rêveuses, pendant que les lueurs des grands feux embrasent une partie de l’horizon. Le calme est si charmeur, la voix du lac exerce une telle séduction, les oiseaux disent de si jolis airs, que je voudrais rester ici, longtemps seule avec la nature qui chuchote d’innombrables mystères joyeux.
Infiniment petite dans cet infiniment grand, je me perds, heureuse du seul bonheur de vivre dans le bercement doux de l’harmonie épandue sur les montagnes, sur l’onde… sur l’âme.
L’image parue dans Le Monde illustré du 14 décembre 1895, se trouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Collection numérique, Revues d’un autre siècle, au descripteur «Labelle, lac (Labelle, Québec)».
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