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Ces originaux qui égaient (seconde partie)

Dans sa ville, à Trois-Rivières, le journaliste et historien Benjamin Sulte retrouve aussi de ces personnages colorés que l’on aperçoit soudain au coin d’une rue ou autrement. Toujours dans Le Monde illustré du 28 février 1891.

Puisque types il y a, parlons aussi de ceux que j’ai connus aux Trois-Rivières.

Place aux dames : Javotte Rouillard, six pieds deux pouces de jet sur la souche et pas trop sèche; habillée dernière mode le moins possible; n’avait jamais senti ni froid ni chaud; sans quêter, elle recevait l’aumône, et c’était tout son avoir. Elle se savait «admirée» des passants et prenait des airs de satisfaction. Un jour, à la suite d’une gageure, elle enleva de la halle et emporta sur ses épaules un cochon d’un poids énorme. — À vous de mettre le chiffre.

* * *

Marie Quatre-Poches ou Marie Fend-le-Vent faisait des commissions pour toute la ville dès son bas âge. La première fois qu’elle tenta d’être admise à la communion, le curé qui posait les questions du catéchisme lui demanda dans quel but elle avait été créée et mise au monde; elle répondit sans hésiter : « Pour faire des commissions. » Je l’ai vue à la fin de sa carrière, allant toujours à pleines jambes et les vieux rubans de son chapeau jouant dans l’air comme les banderoles des jours de fête.

Ah ! ces visions du passé !

* * *

Un nommé Dancosse, que les gamins appelaient Tant Cause, inventait des pas d’ivrognes très drôles, et dansait en allant par les rues. On n’a jamais pu savoir à quels moments il était ivre ou non — peut-être toujours. Lorsqu’on lui donnait une pièce de deux sous, il entrait à la banque ou chez un marchand et demandait avec emphase : « Avez-vous de la monnaie pour un gros deux sous ? » Ou encore : « Me vendriez-vous trois harengs pour deux sous ? »

* * *

Un autre du nom de Béland surnommé Raquette Béland donnait dans le genre vagabond élégant déguenillé : Robert Macaire ou compère Bertrand. Il m’a laissé peu de souvenirs. Souvent il disait qu’il ne pouvait vivre richement «mais qu’il mourrait en monsieur». À la suite d’une accusation malicieuse, il fut mis à la salle de police et le lendemain on l’y trouva pendu : «mort en Monsieur», avant de subir son procès. Le poète a dit :

«Les gueux, les quêteux,
Sont des gens heureux.»
Ma foi, j’aime mieux
Être malheureux !

L’illustration propose l’une des « vierges folles » apparaissant dans le portail de droite de la spectaculaire cathédrale de Strasbourg, en Alsace.

3 commentaires Publier un commentaire
  1. josee jacinthe #

    quand l un de nos contemporains, homme bienaimé ou célèbre, quitte ce monde à notre plus grande désolation, je me dis parfois : et combien de personnages du passés, trépassés sans nécessairement passer à la postérité, mais, en leur propre temps, plus grands que natures, jugés uniques en leurs genre et appréciés par leur pair comme tels , nous sont devenus aujourd hui totalement inconnus. oubliés. de si grands baggages… Poussière. Qui et ou sont-ils ?

    mélancolia! mais en toute appréciation du bon temps présent.

    1 février 2013
  2. Jean Provencher #

    Vous avez bien raison, chère Vous. Vous exprimez là ce qui me vient souvent en nourrissant ce site interactif. Il est certain que nous ne pouvons repêcher tous ces disparus, devenus inconnus, oubliés. Mais je me dis que déjà, ils ne sont pas complètement disparus du fait qu’ils font naître en nous ce questionnement. Les gens des temps passés vivent à travers nous, en nous poussant, par exemple, à cette réflexion. Nous les portons en nous.

    1 février 2013

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