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Décès de l’étrange Adée Lépine

Dans toute société et de tout temps, il y eut de ces personnes avec qui il était difficile d’entrer en contact, des êtres à part. Et on a mis beaucoup de temps à imaginer que nous puissions jeter des ponts avec elles. Le 29 janvier 1892, l’hebdomadaire de Saint-Hyacinthe, La Tribune, souligne le décès d’Adée Lépine à Québec, véritable personnage de théâtre. Un texte dans un français bien pauvre cependant.

On a inhumé, la semaine dernière, à St Roch de Québec, un des types les plus étranges, un sujet de mégalomanie le plus remarquable qui se soit vu depuis quarante ans à l’asile de Beauport : Adée Lépine que tout Québec a connue sous le nom de bon Dieu des loges.

Durant près d’un demi-siècle, ce pauvre esprit détraqué avait quitté la terre, pour aller s’établir dans une sphère d’immortalité et d’infini d’où il lui plaisait de tolérer nos inconséquences, de nous conseiller souvent et de nous mépriser beaucoup.

Le bon dieu des loges vous eut parlé raison quant à ce qui vous concerne et vous intéresse, mais il n’aurait pas fallu croire qu’il se plaçât avec vous sur le même terre-à-terre de cette pauvre vie.

Du moment que la conversation lui devenait de quelque manière personnelle, il s’échappait à l’application de vos raisonnements par une envolée de son cerveau malade, qui mettait de suite, entre vous en lui, l’infini, l’omnipuissance, rien que ça.

C’est le 12 juin 1855 que Adée Lépine a été internée, une première fois, à l’asile de Beauport. Elle en sortait le 2 février 1865, pour y rentrer de nouveau le 10 juin 1865 et y mourir le 16 janvier 1892, à l’âge de 77 ans et 1 jour.

Pendant près de quarante ans, son hallucination l’a tenue, si nous pouvons dire, la plus heureuse des créatures, au milieu des plus tristes débris de notre pauvre humanité. Affublée d’oripeaux qui lui donnaient, peut-être, aux yeux de ses compagnes, la majesté de la reine de Saba, portant un diadème où elle semblait vouloir réunir les lambeaux de sa pauvre intelligence, qui en cherchant sans cesse à monter, avait complètement déserté le crâne, elle s’en allait, fière, superbe, deviser du temps, du passé, de l’avenir, qu’elle savait mépriser, parce que la mort lui appartenait.

Un jour, les élèves du petit séminaire de Québec, en congé à Maizerets, étaient allés visiter l’asile. Au moment du départ, la joyeuse phalange est arrêtée au chemin public par le défilé interminable d’une procession funèbre allant reconduire à un cimetière de la ville les restes mortels d’un puissant de la finance, M. [George Benson] Hall, du Sault Montmorency.

Tout à coup, «le bon dieu des loges» apparaît dans toute la pompe et la criante majesté de son diadème en papier doré, de sa robe et de son manteau constellés de cuivre et d’argent. La gente légère et peu convaincue oublia la mort pour s’amuser de cette immortalité de mascarade.

Mais la déesse parut bien dans son rôle. D’une voix qui s’efforçait de trahir sa toute puissance : «Et vous, jeunes gens, dit-elle, qui riez, regardez plutôt la mort qui passe devant vous, ne savez-vous pas que c’est moi qui lui commande, et que je l’enverrai vous chercher un jour.»

Et les jeunes, en attendant, de s’exclamer dans toute l’insouciance de leurs douze ans. […]

Son rêve d’immortalité est fini. Heureuse est-elle que cette grandeur et de bonheur factices lui aient ménagé dans son irresponsabilité le mérite et le jouissance de la réalité qui commence.

 

L’illustration propose l’une des « vierges folles » apparaissant dans le portail de droite de la spectaculaire cathédrale de Strasbourg, en Alsace.

Sur Grelot, Carron l’outarde, Bezeau, Crignon et Chouinard, voir ce billet.
Sur Javotte Rouillard, Marie Quatre-Poches, Dancosse et Raquette Béland, celui-ci.

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