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Sous le Mistletoe…

En 1900, dans le temps des Fêtes, les Anglophones du Québec ont une coutume que nous, Francophones, ne connaissons pas, je crois : passer sous le gui. Mesdames, écoutez bien, sinon vous allez vous attirer des baisers soudains. Je ne sais pour vous, mais, pour un homme, ce n’est vraiment pas désagréable. Une sorte d’appel bientôt à vos joues. Et, qui sait, à vos lèvres. Jeanne-Andrée nous raconte cette manière de faire dans Le Monde illustré du 27 décembre 1890

 

C’était en 188…., la veille de Noël. J’avais seize ans. Il faut vous dire, tout d’abord, que je suis une petite fille de la verte Erin, et qu’en véritable Irlandaise, j’adore la France et les Français.

Orpheline, dès ma plus tendre enfance, je fus élevée par un oncle maternel, vieux garçon habitant Londres, et fait depuis longtemps aux mœurs anglaises.

Or, ce matin de Noël, mon oncle Fred, qui ne vivait que pour moi, avait réuni, dans son vaste hôtel, une société nombreuse et choisie, pour célébrer gaiement la naissance de Jésus. Tous les préparatifs étaient terminés; nos bruyants et joyeux invités arrivaient en foule, et mon oncle, désireux de garder les vieilles coutumes, suspendait, d’un air magistral, le traditionnel rameau de Mistletoe.

Mais, je vous entends d’ici, qu’est-ce que le Mistletoe ?

C’est tout simplement une mignonne branche verte à baies rouges que l’on suspend au plafond la veille de Noël, et sous laquelle une jeune fille ne peut passer sans être à l’amende…. d’un baiser.

Légèrement perdue dans mes rêverie, je suivais d’un air distrait la délicate opération, lorsque mon oncle, avec une vivacité peu commune à son âge, m’appliqua sur les joues deux sonores baisers : j’étais juste au-dessous du Mistletoe !

Voilà, fillette, qui me dédommage de toute ma peine; mais, prenez garde, avant que je descende le talisman, d’en recevoir là un autre que vous préférerez au mien !

Eh bien ! cher oncle, j’espère qu’il ne sera pas aussi retentissant, car il éveillerait tous les échos d’alentour !

Et je me sauvai en riant pour lui cacher la rougeur qui me montait aux joues.

J’oubliais de vous dire que mon oncle avait un ami, un ami intime, jeune, grand, bien fait, et Français ! Il venait souvent nous voir…. — il aimait beaucoup mon oncle — et quand ses yeux cherchaient les miens, mon cœur battait étrangement….. Pourquoi ! Mystère ! Mon oncle devait le savoir, car il souriait tendrement en nous regardant.

Ce soir-là, il battait bien fort, mon pauvre cœur, car nous valsions ensemble; sa douce voix me murmurait mille folies vieilles comme le monde, et cependant toujours nouvelles.

La valse terminée, je me promenai, à son bras, dans le grand vestibule; nous étions seuls, et voyez le hasard ! je me trouvai, pour la seconde fois, — par accident, je vous le jure, — sous la friponne branchette !

Miss Dorah, vous êtes juste sous le Mistletoe !

M’éloigner, impossible, il me tenait; sa main tremblait très fort.

Eh bien, dis-je toute rougissante, il me semble que je n’ai rien à faire en cette circonstance !

C’est que… reprit-il, et ses yeux étaient bien doux, je n’ose pas le prendre, si vous ne le permettez.

Et moi, murmurai-je faiblement, je n’ose pas le permettre, mais  je le laissai prendre…

Le baiser fut un peu long peut-être, mais il ne résonna pas comme celui de l’oncle Fred.

Que dire encore ? Vous l’avez deviné sans doute ! Aujourd’hui, Max est mon mari, je suis Française; et, malgré les trois chérubins qui, près de nous, reposent en leur douillet berceau, le doux souvenir du Mistletoe n’est pas encore passé !

Jeanne-Andrée

9 commentaires Publier un commentaire
  1. Monique Sylvestre #

    Quel joli texte! Excitant ,ma foi.
    Cela me rappelle mes seize ans déjà si loin…
    M. Provencher,
    je vous écoutais ce matin à RDI et je me disais: Comme j’aurais aimé être une de vos cousines. Hi! Hi!

    23 décembre 2012
  2. Jean Provencher #

    Vous êtes absolument adorable, chère Monique ! Vous imaginez bien que je vous aurais volé des baisers sur vos joues si vous étiez passée sous cette branche de gui ! J’aurais profité de ce moment, c’est certain.

    23 décembre 2012
  3. Pierre Robitaille #

    Quel magnifique texte si joliment écrit! Je suis tout à fait conquis par son charme suranné. Je me suis pris à imaginer cette Jeanne-Andrée, jeune beauté de la verte Erin à la chevelure cuivrée, les joues rougissantes et à la mine constellée de «freckles», souriant devant moi sous le gui!
    Quel joli fantasme de Noël!
    Merci du cadeau!
    Joyeuses fêtes cher Jean!

    23 décembre 2012
  4. Jean Provencher #

    Ah, cher Pierre, tu aurais donc eu envie de croquer les joues de cette jeune beauté irlandaise ! Je te souhaite de bien belle Fêtes, cher ami.

    23 décembre 2012
  5. Sandrina Henneghien #

    Joli texte tellement drôle dans son romantisme puéril. Ça me rappelle les veillées de l’An quand au final des douze coups de minuit tous se hâtaient d’être les premiers à se souhaiter la « Bonne Année » dessous le gui. Tradition qui existe encore d’ailleurs mais qui malheureusement ne s’est pas rendue en terres d’Amérique. J’ai appris qu’ici c’est le « Phoradendron flavescens » qui servait de décor de fêtes, mais j’avoue n’en avoir encore jamais vu suspendu chez l’un ou l’autre de mes amis canadiens.

    30 décembre 2012
  6. Jean Provencher #

    Ah bon, chère Sandrina, dans votre pays d’alors, en Belgique, on connaissait donc cette coutume ! Cela dit, je ne connais pas ce « Phoradendron flavescens » dont vous parlez. Sorte de gui québécois ? Bien belle année à Vous.

    30 décembre 2012
  7. Sandrina Henneghien #

    Plus communément appelé « gui de chêne ». Bien belle année également à vous cher Mr Provencher et gâtez-nous encore longtemps de ces délices historiques à saveurs folkloriques très appétissants !

    30 décembre 2012
  8. Jean Provencher #

    Merci tant !

    30 décembre 2012

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