Une bien vieille chanson
En 1890, le Lévisien Pierre-Georges Roy (1870-1953), qui deviendra historien et archiviste, raconte dans Le Monde illustré du 20 décembre sa rencontre avec la mère Lavoie, de Sainte-Luce.
J’écris de mémoire quelques fragments d’une ancienne chanson canadienne que j’ai eu le plaisir d’entendre moduler à Sainte-Luce, vieille paroisse du comté de Rimouski, où les belles et naïves coutumes de nos ancêtres se conservent de famille en famille comme un héritage précieux. La vieille qui chantait ces couplets était âgée de quatre vingt dix ans sonnés. La mère Lavoie — ainsi se nommait-elle — était encore alerte à son âge. Matin et soir, elle allait traire ses dix vaches à plus de douze arpents de distance de sa maison [un peu moins de trois quarts de kilomètre]. On dit que l’usage du tabac abrège l’existence de plusieurs années. La mère Lavoie fumait ses six pipées de tabac canadien par jour depuis l’âge de trente ans.
Lorsque j’allai la voir — les gens du village ne manquent jamais d’amener les étrangers chez la mère Lavoie — elle me fit asseoir sur un antique bed qui était certainement aussi vieux que sa propriétaire, et elle se mit à me parler de Québec qu’elle n’avait jamais eu le bonheur de voir [287 km sépare Sainte-Luce de Québec].
Après avoir répondu tant bien que mal aux nombreuses questions de la bonne vieille, je lui demandai une chanson. Elle se fit peu prier et me chanta les quelques bribes suivantes sur l’air de Au sang qu’un Dieu va répandre :
Je partis de l’Angleterre pour venir en Canada, armé de trente-six voiles et de dix mille soldats….
Croyant par sa vaillantise prendre la ville de Québec…..
J’ai mouillé devant la ville le plus fort de mes vaisseaux….
Alexis Pierre de compagne pour me servir de renfort….
Dis-lui que j’ai de la bonne poudre et de bons boulets, des canons à l’abondance au service de l’Anglais…..
Et le malheur qui m’accable, qui m’a jamais laissé….
Cent français pleins de courage m’en ont détruit la moitié…..
Hubert LaRue, dans ses Chansons historiques, cite plusieurs couplets composés pendant la guerre de sept ans [1756-1763] et dirigés contre les Anglais. Un entre autres que j’ai retenu :
Anglais, le chagrin t’étouffe,
Dis-moi, mon ami, qu’as-tu ?
Tes souliers sont en pantoufle,
Ton chapeau y est rabattu.
La chanson de la mère Lavoie ne serait-elle pas éclose, elle aussi, pendant cette guerre qui se termina par la victoire de l’Angleterre sur la France ?
La parole est aux antiquaires.
Voilà que nous remontons bien loin. Qui donc pourrait nous aider à cheminer au sujet de ces chansons ?
On considère Pierre-Georges Roy comme le premier archiviste du Québec. Il crée les Archives nationales de la Province de Québec, appelées aujourd’hui Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
L’illustration provient de l’ouvrage de la Congrégation Notre-Dame, Le solfège à l’école, 4e et 5e années, collection Initiation à la musique, Ottawa, 1950.