Un fromage !
Les
Rev. PP. TRAPPISTES
OKA, Qué.
Établissement religieux et agricole
Hôtellerie pour retraitants, pensionnaires et visiteurs.
Ferme modèle — École d’agriculture et d’horticulture — Étalons, bêtes à cornes et cochons de race.
Fromage : Port du Salut — Beurrerie, Cidrerie — Séchage de fruits et de légumes — Vin de messe et vins de table — Arbres fruitiers et d’ornements de toutes sortes en pépinière.
On demande quelques agents responsables.
S’adresser au Rév. P. PÉPINIÉRISTE
Oka, Qué.
Annonce parue dans Le Trifluvien, 6 décembre 1895
À noter que Le Quotidien, de Lévis, rapporte la nouvelle suivante le 11 juillet 1894: « Le frère Alphonse, trappiste de la trappe d’Oka, est à Québec depuis quelques jours. Le révérend Frère est venu pour placer dans le commerce le célèbre fromage fabriqué à la Trappe ».
VENU DE L’ABBAYE CISTERCIENE DE NOTRE-DAME DU PORT DU SALUT
Le Frère Alphonse Juin «invente» le fromage d’Oka
PAR GILLES BOILEAU
Les moines de l’Abbaye de Notre-Dame du Lac ont beaucoup apporté à la société québécoise. S’ils ont été et sont toujours des hommes de Dieu, ils ont aussi été à leur façon des hommes de la Terre. À leur façon, ils ont été des défricheurs et des laboureurs. Ils ont œuvré par la croix, le livre et la charrue. Ils nous ont aussi donné le célèbre fromage d’Oka. Chaque abbaye devant compter sur ses propres ressources pour subsister, l’invention de ce fromage par le Frère Alphonse Juin a permis à la communauté encore naissante de vivre puis de grandir.
L’excellente renommée du fromage d’Oka l’a fait entrer dans la légende et le patrimoine gastronomique québécois. Mais que savons-nous de celui qui a inventé ce fameux fromage? Dans son Histoire de la Trappe d’Oka (1979), le Père Camille-Antonio Doucet écrit… «L’année 1893 s’ouvrit sous de plus heureux auspices quand, le 18 février, arriva le Frère Alphonse Juin, expert dans la fabrication du fromage appelé « Port-du-Salut».
Attaché à l’abbaye de Notre-Dame du Port-du-Salut, le religieux fromager avait d’abord été envoyé à la Trappe de Notre-Dame de Gethsémani, aux États-Unis, avant d’être affecté à la Trappe d’Oka. La réputation et la science du Frère Juin n’étaient plus à faire. Fort des nombreux succès déjà remportés aux grandes expositions de Paris et de Londres (où il avait remporté neuf médailles), il se mérita un grand prix à l’exposition provinciale de Québec quelques mois seulement après son arrivée à Oka.
Le Frère Alphonse juin (en bas, à gauche).
Source : Archives Abbaye cistercienne Notre-Dame du Lac, P36-30
Alphonse Juin est né le 25 mars 1842 à Laval, en Mayenne (France) et est décédé le 23 juin 1910. Il était entré au monastère de Port-du-Salut le 26 décembre 1859, à l’âge de 17 ans seulement et il y fut fromager pendant 19 ans. Il y a, bien sûr, une ressemblance évidente entre le fromage d’Oka et celui de Port-du-Salut. Rien d’étonnant. À Oka, les Cisterciens ne sont plus propriétaires de la fromagerie. Depuis 1981 c’est Agropur qui fabrique le traditionnel fromage.
Sur les bords de la Mayenne, dans la petite ville d’Entrammes, les moines de Notre-Dame de Port-du-Salut ont abandonné eux aussi en 1988 la fabrication de leur célèbre fromage. C’est en 1862, 126 ans plus tôt, que les moines avaient mis au point ce fromage qui était devenu une véritable institution. Entre temps, la dimension de la communauté avait bien changé, le nombre de frères passant de 118 à 15 seulement
C’est avant tout pour des raisons liées à une nouvelle réglementation sanitaire que les moines ont abandonné la fabrication de ce produit auquel ils tenaient de tout leur cœur. Ils n’avaient pas les moyens de transformer leur «grande cuisine» où travaillaient d’une manière artisanale quelques frères en un laboratoire ultra-moderne où s’agiteraient des techniciens savants et anonymes dans leurs grandes «chiennes» blanches. Dans un communiqué daté du 2 novembre 1988, une correspondante de l’agence France-Presse parlait plutôt de «combinaison de cosmonautes».
C’est le 26 octobre 1988 que les moines de Port-du-Salut ont donc vendu leur troupeau de 50 vaches laitières. Mais ils ont gardé précieusement le secret de leur fromage. Le produit actuellement fabriqué et mis en marché par une grande entreprise n’est donc pas le «vrai» Port-du-Salut. Comme chacune des abbayes de l’Ordre de Cîteaux doit vivre du fruit du travail de ses moines, à Port-du-Salut, en vérité, on tire maintenant ce qu’il faut pour assurer l’essentiel et la survie de la communauté de la vente, à la ville voisine de Laval, d’une petite quantité d’électricité produite par une mini-centrale hydroélectrique érigée sur la Mayenne. Ils vendent aussi dans leur magasin les produits alimentaires ou artisanaux de quelques autres abbayes dont les pâtes de fruit de l’abbaye de Timadeuc et les chocolats au lait des moniales de Bonneval, dans l’Aveyron.
À la Trappe d’Oka, il y a déjà plusieurs années que les étables sont vides, démolies même. Pour fabriquer l’actuel fromage d’Oka, Agropur ramasse et achète le lait de producteurs laitiers privés. À Mistassini, la vente du troupeau est plus récente, mais on vit toujours des produits de la chocolaterie. Et dire qu’à Oka, les moines animaient jadis une vigoureuse et dynamique société de production animale.
L’historien de la Trappe ne s’en cache pas et avoue «que le fromage d’Oka fut la mine d’or que cherchait désespérément le Père Abbé Dom Antoine Oger à l’une des époques les plus sombres de l’histoire de son abbaye». Le fromage Port-du-Salut, produit à Entrammes, était fabriqué selon une recette venue de Yougoslavie et bien conservée par les cisterciens de France. Ne cachant pas sa joie face à la réussite du fromage d’Oka et de l’invention du Frère Alphonse Juin, Dom Antoine écrivait lui-même… «Une fromagerie vient d’être installée pour la fabrication d’un fromage doux, semblable à celui de l’abbaye Notre-Dame de Port-du-Salut, et le succès a répondu aux premiers essais».
C’est sans doute parce que la nature et la qualité des pâturages ainsi que les particularités des sols – sans parler du climat – étaient nettement différentes des conditions naturelles prévalant dans la région du Port-du-Salut français que le fromage d’Oka n’a jamais été la réplique exacte ou la copie conforme du Port-du-Salut de l’abbaye d’Entrammes.
Surpris du succès remporté par son invention, le Frère Juin s’exclamait bien haut: «Tout le monde demande mon fromage, que vais-je faire? Il ne m’en reste presque plus dans les caves?» Homme doué d’un grand sens pratique, c’est le Frère Juin qui entreprit lui-même de faire connaître son produit et de trouver les intermédiaires dont il avait besoin pour en assurer la distribution. Les médailles remportées par le Frère et son fromage atteignent la douzaine.
Les installations mises à la disposition du Frère Alphonse Juin furent d’abord bien rudimentaires. Il ne possédait même pas de thermomètre. Pour voir si tout était à point, il trempait simplement son doigt dans les marmites. Quand la température atteignait le niveau souhaité, il donnait l’ordre au jeune novice qui lui servait d’assistant «d’enlever le feu». Ce jeune novice que le bon Frère appelait familièrement «Petit» avait nom Pacôme Gaboury, futur Abbé d’Oka, de 1913 à 1964.
Aujourd’hui, on peut parfois regretter que les exigences sanitaires gouvernementales et des normes de production très sévères quant à la pasteurisation et à la salubrité aient enlevé au fromage d’Oka une partie de sa «forte personnalité» d’antan… Qui sait par contre que pendant sa période d’affinage les fromages d’Oka sont alignés sur des planches de cyprès de la Caroline du Sud?
Les trappistes d’Oka ont possédé et exploité leur fromagerie pendant près de trois quarts de siècle. Elle était devenue une grande entreprise commerciale qui n’était peut-être pas en harmonie avec les objectifs de la communauté et les règles de saint Benoît. C’est peut-être là deux des raisons qui ont incité Dom Fidèle Sauvageau et la communauté à se départir de cette activité dès 1974.
Fabriqué d’abord par les moines ou par les fromagers d’Agropur plus récemment, le fromage d’Oka demeure l’un des grands survivants des trois ou quatre grands fromages véritablement canadiens. Grâce aux Cisterciens de Notre-Dame du Lac et au Frère Alphonse Juin, le fromage d’Oka appartient à notre patrimoine gastronomique et à notre histoire.
ÉPHÉMÉRIDES
Source : Oka, ouvriers de la parole, p. 36 1893 – L’École moyenne d’agriculture est fondée. On ne faisait que de la «pratique». Deviendra en 1908 la Faculté d’Agriculture de l’Université de Montréal.
18 février 1893 – Arrive à l’abbaye du Lac, venant de «Port-du-Salut» (France), le frère Alphonse Juin (notre photo), expert dans la fabrication du fromage de ce nom. Le fromage d’Oka fut la mine d’or que cherchait Dom Antoine. Dans chaque abbaye, les moines doivent vivre du fruit de leur travail. Ils ne quêtent ni n’enseignent.
* * *
23 juillet 1902 – Le monastère est rasé par le feu. Les assurances versent le plein montant. La compagnie confirme le 24 août. Que va-t-on faire de cet argent ? … Payer les dettes, pourvoir aux besoins les plus urgents… Par un vote de 13 contre 2, on approuve la reconstruction du monastère. Seuls les profès solennels ont voté. On parle de reconstruire ailleurs. On quitterait alors ce que Mgr. Bruchési appelait «le trou».
1er août 1913 – Dom Antoine s’éteint à Notre-Dame du Lac. Ses oeuvres, en raison de malheureux incendies, ne sont plus là pour évoquer sa mémoire.
http://www.histoirequebec.qc.ca/publicat/vol1num2/v1n213fr.htm
Merci, Monsieur Jean, pour cette belle histoire.
mon oncle fût l ébéniste à temps plein de la trappe. cela nous donna certains passe-droit dont, même si j étais enfant alors, je me rappelle toujours.
pas beaucoup de fromage pour mes parents peu passionnés par le sujet, mais des montagnes de fruits provenant des vergers. je me rappelle entre autre des prunes jaunes dont ma mère faisait des confitures à partir de leur recette.
et pour nous enfants, le mystère de l endroit. formatif.
Si chanceuse êtes-vous, chère Vous ! Moi, mon lien avec Oka, à Trois-Rivières, était le fromage. Mon père adorait ce fromage, comme le bleu. J’adore toujours le bleu, mais je m’ennuie du véritable Oka de l’époque, qui te sautait au nez sitôt que tu ouvrais la porte du frigo. Mais quel délice alors !