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Le temps d’hier (seconde partie)

Hier, nous débutions la publication d’un témoignage magnifique sur des manières de vivre dans les campagnes en aval de Québec au milieu du 19e siècle. Voici la suite extraite de La Patrie du 19 novembre 1892.

Lorsque la Providence envoyait un nouveau-né à l’une de ces braves familles, et cette Providence se montrait généreuse, prodigue même, à l’égard de nos Pères dont le nombre d’enfants atteignait souvent le chiffre de quinze à vingt; lorsque, dis-je, survenait une naissance, que ce fut au milieu du jour ou de la nuit la plus noire et la plus tempétueuse, tous les enfants, depuis l’âge de trois ans en montant, avaient à déguerpir, sous un prétexte quelconque, et allaient se réfugier chez les voisins ou les parents. Un souvenir à ce sujet.

Nous étions au mois de janvier. Il faisait un froid à pierre fendre, le vent soufflait avec rage et soulevait la neige en une poudrerie aveuglante. Au beau milieu de la nuit, alors que mon frère et moi dormions les poings fermés et avec toute la tranquillité insouciante de nos huit à neuf ans, notre père vint nous réveiller avec l’ordre de nous habiller au plus tôt et d’aller passer le reste de la nuit chez un oncle demeurant à quelques arpents de chez nous. Nous ne comprîmes rien au motif de cette promenade en plein cœur de la nuit et par un temps pareil. Nous ne nous fîmes pas prier, cependant, car nous avions, chez l’oncle en question, de jeunes cousins, nos doyens d’âge de quelques années, que nous aimions sincèrement et avec lesquels nous menions le diable à quatre dans nos jeux bruyants.

Arrivés chez l’oncle, nous fîmes part à nos cousins de notre étonnement de cette promenade à une heure aussi insolite, et nous déclarions ne pouvoir en connaître le motif chez notre père. L’aîné des cousins, qui pouvait avoir de douze à treize ans, prit la parole d’un air sentencieux, après avoir longtemps tisonné le feu, comme pour réfléchir, et dit : « Demain matin, vous aurez un p’tit frère ou une p’tite sœur».

Depuis cet instant, nous conçûmes la plus grande admiration pour la science profonde de notre cousin que nous considérâmes longtemps comme un être bien supérieur à nous, d’autant plus qu’il avait dit vrai : le lendemain, nous avions une p’tite sœur de plus.

J’ai parlé, plus haut, de familles de quinze à vingt enfants. Dans notre paroisse natale, Kamouraska, nous avons eu deux familles ayant, chacune, vingt-six enfants. Dans ce cas, le vingt-sixième, tout comme le vingt-sixième minot de la dîme, devenait la propriété du curé.

* * * *

La cérémonie du baptême avait aussi ses particularités remarquables et différentes de celles de nos jours. D’abord, on faisait baptiser le nouveau-né le jour de son arrivée dans ce monde, ne voulant pas risquer de le voir mourir sans ce sacrement, qui nous fait enfant de Dieu et de l’Église. Le compère choisi, celui-ci devait choisir, à son tour, sa commère. (On se servait peu alors des mots parrain et marraine.) Le compère attifé de ses plus beaux habits de fête, menant à grand train sa plus belle guévale (cavale), attelée à son cabrouet le plus élégant, se rendait à la demeure de la commère, qui l’attendait habillée de ses plus beaux atours. Après avoir été chercher l’enfant à baptiser, on se mettait en route pour l’église.

Après le baptême, il était d’usage de faire sonner la cloche ou les cloches assez longtemps pour satisfaire l’orgueil du compère et la vanité de la commère. Ceci regardait le parrain et le bedeau, celui-ci donnant du son en proportion de la somme reçue; pour trente sous, le bedeau carillonnait au moins vingt minutes et le compère et la commère se rengorgeaient.

Mais ce n’était pas tout. Il y avait encore une autre coutume à laquelle le parrain ne pouvait se soustraire sans passer pour un malappris, un rustaud et un pingre. Avant de reporter l’enfant auprès de sa mère, le parrain devait conduire la commère chez un des marchands du village, qui, à cette époque, vendaient, outre les articles ordinaires d’un magasin de campagne, des liqueurs douces et fortes. Le compère demandait pour sa commère un bon sangris sucré, ou, si elle le préférait, un verre de monestroppe (lemon syrup), et, lui, ingurgitait un ou deux vers d’espérette (spirits), ou de cette bonne Jamaïque du bon vieux temps. Ainsi lesté, le compère, faisant un salut gracieux à la commère, disait : «Madame (ou mademoiselle, suivant le cas), choisissez ce qu’il vous plaira dans le magasin». Jamais commère ne prenait avantage de cette générosité devenue coutume. Elle se bornait à l’achat d’une paire de gants, d’un petit châle ou de quelques verges de calicot.

De retour sous le toit du nouveau-né, il y avait un grand «fricot» auquel étaient invités les parents et les amis. On passait souvent la bouteille; on buvait à la santé de la mère et du père de l’enfant, à la santé de la commère et du compère, qui devaient, chacun, reconnaître la politesse par une chanson.

 

Suite et fin : demain.

3 commentaires Publier un commentaire
  1. Manon #

    Passionsant.

    Merci

    27 novembre 2012
  2. Jean Provencher #

    Merci, merci, merci. La troisième partie, demain.

    28 novembre 2012

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