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Où l’amour s’explique à l’amour

Mon métier m’a très tôt mené chez les bouquinistes. J’y ai retrouvé des amis. Des complices. Des hommes de grande culture aussi. Je ne pourrais plus me passer d’eux.

L’un d’entre eux, Denys Néron, a publié à ce jour trois recueils de poésie. J’extrais de son premier, L’équation sensible, paru en 1979, le texte qui suit. Immédiatement, j’ai pensé au Cantique des Cantiques. Ça ne vous dit rien ? Courez à votre Ancien Testament. Vous y trouverez ce texte qu’on dit du roi Salomon. Il chante dans une suite de poèmes l’amour mutuel d’un Bien-aimé et d’une Bien-aimée, qui se joignent et se perdent, se cherchent et se trouvent. Recueil de chants célébrant l’amour humain.

Voici ce texte de Denys, Où l’amour s’explique à l’amour :

 

Quelque chose d’elle soudain me procure une pluie rieuse de lumière et dans un profond silence m’établit.
Le visage d’un être aimé, dit-on, est une hyperbole de l’infini,
et là-bas le silence abrite l’amour
et l’amoureux y trouve prête sa demeure…

Lors je contemple à travers nos regards recueillis la bienfaisante nuit, puis je pense :

« Et si le jour venait où l’oubli n’étant plus
toute mémoire redevenait connaissance,
du moindre savoir et de nos sens
des souvenirs d’amours ineffables jailliraient,
pour nous consumer tout entiers en d’infinis sourires… »

Oh ! dit l’amoureuse, comme je devine en mon cœur des secrets ravissants,
qui chacun proviennent de toi
et m’annoncent une autre joie en moi que la mienne,
car au fond je te sens plus intime en moi-même et plus tendre que moi;
peut-être t’aimai-je à mon insu déjà,
je t’en prie dis-moi ce qui a choisi en mon cœur,
afin qu’à cela aussi maintenant je consente.

(L’amante ainsi s’épanche à son amant,
dans la nuit invariable et virginale,
une lumière monte, une autre descend,
et la douce atmosphère frémit, pleine d’éclats et de secrètes splendeurs.
Mais comment ces deux peuvent-ils être une même source ?)

Le plus haut amour, je te dis, aspire à la connaissance,
parce que toute connaissance vraie inspire l’amour,
et l’intuition de cette connaissance aussi bien développe
en une ivresse exquise sa raison et son sens,
comme la science même en son propre désir,
d’un toucher divinatoire ou d’un geste magique…

Te souviens-tu d’un songe où tu étais petite fille,
dans un pays étrange dont jamais les bornes ne s’avouaient ?
Je te vois encore comme si j’y étais depuis toujours,
insouciante et gaie, toute absorbée en ton désir
d’adorer la transparence et la clarté du jour.
Tu courais sans regarder nul obstacle
et sans que rien ne puisse te troubler ni t’éblouir,
et comme était presque rose ta jolie robe rouge dans la lumière…
Te rappelles-tu soudain ce jeune chien qui t’ayant vu venir
et lui lancer en jouant un bout de bois avec ton rire,
aussitôt nageait dans la rivière pour le dégager
du sombre fond où il était tombé ?
Souviens-toi que sans attendre tu disparus,
avant que le pauvre animal n’eût retrouvé et rapporté
à la négligente maîtresse d’un instant,
le futile et précieux trésor…

Mon amour ce jeune chien éperdu c’était moi-même,
et c’était l’âme encore cherchant sa ressemblance…

(L’amant alors se tourne vers l’amante,
dans le jour variable et guerrier,
une nuit s’élève, une autre se ferme en elle-même;
tout le firmament résonne de voix bruissantes et mortelles…
Comment une source unique peut-elle se diviser
en deux fleuves égaux jusqu’à la mer ?)

O si même l’amour avec amour cherche l’amour, dis-moi
pourquoi dès lors mon cœur te fuirait-il ?

 

Vous trouverez ici une vidéo d’une dizaine de minutes de Jacques Thivierge sur Denys Néron. Vous en apprendrez passablement sur mon cher ami.

5 commentaires Publier un commentaire
  1. josee jacinthe #

    Elle est bien belle la librairie de monsieur Néron ! une véritable caverne d ali baba. j aime beaucoup les bouquinistes, ce sont des gens passionnés et passionnants.
    Longue vie au livre papier et ses ambassadeurs!

    7 novembre 2012
  2. Jean Provencher #

    Absolument, chère Vous. Et, en entrant chez lui, vous lui demandez s’il a tel titre et il est capable de vous répondre par un oui ou un non. Il possède des milliers de livres à sa librairie et chez lui, et a une très bonne connaissance de son fonds. D’ailleurs, lui et son épouse sont inscrits sur Abebooks (À la bonne occasion) et c’est son épouse, à partir de la maison, qui gère les commandes reçues par internet.

    Cela dit, Denys est un sage, capable de discuter autant des théories d’Einstein que des qualités d’un bon violoncelle ou du talent de tel compositeur russe, souvent inconnu de la plupart d’entre nous. Nous avons de longues conversations, lui et moi, et vous devriez voir le nombre de jeunes qu’il a encouragés à persister dans leur passion. C’est un véritable éveilleur.

    7 novembre 2012
  3. Melinda Vörös #

    … un éveilleur comme vous, mon cher Jean!
    Merci de partager vos amitiés comme vos passions, merci infiniment, c’est un bonheur!
    Que Dieu / la Vie vous garde!

    13 novembre 2012
  4. Jean Provencher #

    Merci infiniment, chère Melinda, merci tant !

    13 novembre 2012

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