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Bien parler français au Québec (première partie)

En 1860, un membre de la Société typographique de Québec, J.-F. Gingras publie un Manuel des expressions vicieuses les plus fréquentes. Il cherche, bien sûr, à sensibiliser les siens au fait que la langue française parlée au Québec est défigurée par des anglicismes ou des termes corrompus. Sept ans plus tard, il publie une seconde édition. À tourner les pages de la troisième édition, publiée en 1880, il est étonnant de constater que certaines expressions sont aujourd’hui tout à fait disparues, mais que d’autres demeurent bien vivantes. Allons-y d’un premier choix.

 

Amarrer. Terme de marin très répandu parmi les classes ouvrières, car, généralement, elles disent amarrer au lieu d’ATTACHER des souliers, une coiffure, etc.

Arrêche. Ne dites pas une arrêche, mais une arête de poisson.

Arupiaux. Quel est le Français nouvellement débarqué sur notre sol qui pourrait dire que ce mot est la corruption d’OREILLON, inflammation de la glande parotide ou du tissu cellulaire et des glandes lymphatiques qui l’environnent ?

Badrer. C’est encore un mot anglais francisé, et assurément il n’est pas un des moins ridicules, surtout lorsqu’on dit : c’est badrant ! Nous avons les épithètes d’ENNUYEUX, de FATIGANT, voire même de SCIEUR, qui rendent parfaitement l’idée de badrer; pourquoi donc ne pas nous en servir ?

Barbot volant. Terme impropre dont beaucoup se servent pour désigner le HANNETON.

Barrène. Jeu d’enfants qui consiste en une manière d’échelle tracée avec de la craie, dans laquelle on marche à cloche-pied, en poussant avec le pied une espèce de palet. Le nom français de ce jeu est MÉRELLE ou MARELLE.

Bombe. À Québec, l’on dit presque toujours bombe, et à Montréal canard, au lieu de BOUILLOIRE, et cependant ce dernier mot désigne assurément mieux que les deux autres l’objet dont il est question.

Démancher. L’on dit souvent : il s’est démanché le bras, la jambe, et il se l’est fait ramancher. Pour être exact, il faut dire : jambe DÉMISE, bras DÉMIS.

Dummy. Se dit au jeu de whist lorsqu’il manque un quatrième joueur pour faire cette partie. Le jeu du manquant est alors mis à découvert sur la table, et c’est de qu’on appelle en français faire la partie de whist avec un MORT.

Éplan. Se dit à tort au lieu d’ÉPERLAN, espèce de poisson bien connue.

Fourmi. Le grand nombre se trompe en désignant sous ce nom le CLOPORTE.

Menoires. Ce mot s’emploie pour désigner les deux pièces de bois d’une voiture entre lesquelles le cheval est attelé; mais il n’est pas français. LIMONIÈRE est le terme voulu, et lorsqu’on veut indiquer l’une des branches de la limonière, LIMON est celui dont il faut se servir.

Nane. Ce mot est souvent employé pour désigner la CHÈVRE.

Noirceur. Être dans la noirceur se dit généralement pour être dans l’OBSCURITÉ. S’emploie aussi à tort au lieu de : À LA NUIT TOMBANTE.

Pantry. Sur un navire, pantry signifie SOUTE aux provisions, et dans une maison la DÉPENSE, c’est-à-dire le lieu où l’on met toutes les provisions de table.

Poudrerie. S’emploie dans ce cas-ci pour signifier que la neige VOLTIGE : il poudre; il fait une grosse poudrerie. On ne pouvait donner une plus mauvaise acception à ces deux mots, dont il faut éviter de se servir en les remplaçant par l’une ou l’autre de ces locutions : il POUDROIE, la neige VOLTIGE, TOURBILLONNE; ou bien encore : le vent soulève la neige.

Raftman. Homme employé au flottage du bois. FLOTTEUR est le bon terme, et non homme de cage, désignation des plus impropres et dont un trop grand nombre fait usage pour qu’elle ne soit pas signalée ici comme telle.

Slack. Ce mot anglais est passé dans le langage de tous nos ouvriers et marins, qui disent slaquer au lieu de LARGUER une amarre; donner du slack au lieu de donner du JEU à une porte, à un tiroir, etc. Ils disent aussi : les temps sont slack pour : les temps sont DURS.

Zarsais. Au lieu de JERSIAIS et GUERNESIAIS, c’est par ce mot que les classes ouvrières désignent les natifs et les habitants de Jersey et Guernesey.

 

Nous revenons demain à ce petit Manuel des expressions vicieuses les plus fréquentes de J.-F. Gingras. Certains de ces dires nous font soudain retourner dans notre passé personnel.

Source de l’illustration : Mon troisième livre de lecture, Montréal, Librairie Granger Frères Limitée, 1956. Textes de Marguerite Forest et Madeleine Ouimet, Illustrations de Jean-Charles Faucher.

10 commentaires Publier un commentaire
  1. Denis Bastien #

    En lisant votre texte, j`entend encore la voix de mon grand-père qui utilisait certaine de ses expressions.
    Bonne fin de semaine.
    :o)

    2 juin 2012
  2. Jean Provencher #

    Bien sûr, n’est-ce pas, nous retournons dans le passé à l’occasion, mais parfois nous sommes toujours dans le présent. Cela dit, je suis loin d’être d’accord avec tout ce qu’il condamne. «Poudrerie», par exemple, est un fort beau mot, qui dit bien ce qu’il désigne. À notre manière, nous avons aussi embelli la langue française.

    2 juin 2012
  3. Sylvie Pontbriand #

    Menoires, barrène , quels beaux mots! Et que de souvenirs avec l’illustration. Ayant déménagé souvent j’ai appris plusieurs mots pour un même objet:
    snick, basket, running, soulier de course et espadrille !

    2 juin 2012
  4. Jean Provencher #

    Merci beaucoup, chère Vous.

    2 juin 2012
  5. Françoise Bourgault #

    Moi j’aime bien « badrer ». J’entends encore mon père l’utiliser pour nous éloigner, nous les enfants, de sa sieste du dimanche après-midi ! Et ça illustre tellement bien la chose.
    Alors que « scier » est totalement inaproprié. « Vous me les sciez!  » peut-être, en forçant. Encore que l’image ne nous ressemble pas, mais alors là, pas du tout.

    2 juin 2012
  6. Jean Provencher #

    Chère Françoise, je n’ai personnellement jamais entendu «scier» dans ce sens-là.

    Je suis à préparer la suite pour demain, chère Vous, et je vais d’étonnement en étonnement.

    2 juin 2012
  7. Aurèle Theriault #

    Beaucoup de ces mots ont encore cours en Acadie.
    Très intéressant. Et j’ai énormément apprécié

    – Les quatre saisons.

    26 novembre 2012
  8. Jean Provencher #

    Ô, merci, cher Acadien ! Je suis très heureux de l’apprendre !

    26 novembre 2012

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