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Le cheveu dans l’ourlet

Après Colombine, revoici Fadette. Déjà, j’ai parlé d’elle à quelques reprises, en particulier lorsqu’elle nous emmenait à la cabane à sucre. Fadette a tenu pendant des années une chronique dans le journal Le Devoir et ses chroniques furent publiées en quelques volumes. Voici extrait de Lettres de Fadette, première série, Montréal, imprimerie du Devoir, 1914, son texte qu’elle intitule «Le cheveu».

J’ai retrouvé mon âme campagnarde, et je suis tellement villageoise que je ne prends pas ma plume sans prendre en même temps le désir de vous raconter les petites histoires du village : elles sont simples et fraîches, et elles vous arriveront toutes parfumées de sapin, car mon village est planté sur le flanc d’une montagne, et après la dernière maison de la grande rue, on entre dans une sapinière où erre sans trêve un murmure, vague, très doux, comme une romance sans parole de Mendelssohn qui serait fredonnée à mi-voix. Quand je vous aurai raconté les petites histoires du village, je vous dirai peut-être ce que les grands pins se disent en se balançant dans l’ombre.

Ce soir, il s’agit d’un cheveu, d’un cheveu blond, très long et très fin; et il a une histoire ?

Parfaitement.

Elle est bien humble la propriétaire du cheveu : elle a une petite âme inquiète et triste, un cœur assoiffé de tendresse… et elle vit toute seule avec un grand chien un peu féroce, qui veille sur elle avec force grognements peu aimables pour ceux qui sont le moindrement familiers. Et elle coud, elle coud, du matin au soir. C’est la seule couturière du village, et que l’on veuille une robe d’étoffe du pays ou une légère toilette de mariée, c’est à elle que l’on s’adresse, et elle vous reçoit toujours gentiment, avec un sourire un peu triste et des yeux couleur de ciel, où il passerait un rayon de soleil.

Hier, j’entrai chez elle pour… au fait à quoi bon vous le dire, ce n’est pas ce qui vous intéresse. Elle me demande la permission de coudre tout en causant, parce qu’il y a «de la presse» au moment des vacances.

Nous parlons de la pluie, de la visite de l’évêque, d’une famille étrangère, annoncée pour l’été et qui a loué la maison hantée…

Ses doigts blancs jonglent dans l’étoffe légère qu’elle manie avec de petits mouvements vifs et gracieux, que j’observe tout en causant. Elle s’arrête subitement, tire un de ses cheveux qu’elle arrache d’un petit coup sec. Elle l’étend dans toute sa longueur à l’intérieur de l’ourlet qu’elle prépare et elle se remet à l’ouvrage, avec, aux lèvres, un petit sourire mystérieux et charmant.

On eût été intrigué à moins, et je questionnai; vous en auriez bien fait autant, dites ?

La robe est destinée à une jeune fille qui se marie jeudi, et le cheveu blond, cousu dans sa robe, doit apporter «la chance d’amour» à la jolie enfant qui voudrait tant qu’on l’aime, et si le Sort veut bien entendre la prière éloquente du cheveu d’or, ma petite amie coudra avant longtemps, pour elle-même, une robe de mariée dans laquelle une autre, à son tour, cachera un cheveu noir peut-être !

Et voilà pourquoi on se marie jeune ! C’est tout simple comme vous voyez !

 

Ci-haut, Louise, la couturière qui fabriqua les vêtements d’Octave, le 20 mai 2011. Mais voyons, vous connaissez Octave. Voyez sa naissance.

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