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Aller vivre en plein bois

À compter des années 1830, le Québec vit une saignée démographique, qui durera jusqu’au début des années 1930. On croit qu’environ un million de Québécois de langue française ont gagné les États-Unis.

Pour contrer le mouvement, les élites imagineront, à partir des années 1860, faire la promotion de la vie de colon. Oui, quitter les vieilles terres de la vallée du Saint-Laurent, mais pour aller vivre en plein bois et non s’engager dans les manufactures de la Nouvelle-Angleterre. Une vision de l’avenir bien romantique s’il en est !

Voici un bel exemple de ce discours. Il est du poète Léon-Pamphile Le May. Le journal Le Sorelois du 4 février 1890 publie son texte sous le titre «Épitre à l’honorable M. Mercier». LeMay s’adresse au Premier ministre du Québec, Honoré Mercier, car celui-ci occupe aussi le poste de ministre de l’Agriculture et de la Colonisation.

 

Je suis de race forte et de source féconde,
Chez nous, à quatre-vingts, on court encore le monde;
On a bon pied, bon œil et, d’une ferme voix,
On dit, près des berceaux, les chansons d’autrefois.

Nous sommes nés aux champs où l’on boit l’air limpide.
Où le vie est plus calme et la mort, moins avide.
Il fallut fuir un jour devant l’adversité,
Mes parents m’ont suivi dans la vieille cité.
De leurs quatorze enfants trois sont au cimetière.
Les autres, moins pressés, passent leur vie entière,

À lutter pour se faire une place au soleil,
Donc, j’entends bien des cris, le matin au réveil.
Je vois aussi, malgré la grippe et les névroses,
Rire sur l’oreille, bien des figures roses,
Et je demande au ciel, qui sait tous mes soucis,
De combler ma maison, et puis…. mes déficits.

Je songe à me tailler……. ambitions humaines ! …….
Dans quelque forêt vierge, un de ces beaux domaines
Qu’en vain les créanciers cherchent d’un œil hagard.
Oui, puisque mon pays montre un si grand égard
Pour les foyers bruyants où le marmot fourmille,
Et qu’il se joint au ciel pour bénir la famille,
Où l’amour conjugal dédaigne de tricher,
En lui donnant un coin de sol à défricher,
Oui, je me fais colon !…….

S’il vous plaît mes cent âcres.

O bois mystérieux, j’aime vos senteurs âcres !
Vous roulez sous les vents, comme une mer qui bout,
Mais la tempête passe et vous restez debout
Vous êtes pleins de calme aussi. L’aile et la feuille
Glissent sans bruit autour du front qui se recueille.
Vos rameaux sont touffus, mais je vois à travers
La lumière tomber comme des cieux ouverts,
Au pied de vos troncs verts où s’accroche la mousse
L’insecte au corset d’or babille et se trémousse
Et, baignés de soleil, sur vos altiers sommets,
Les sauvages oiseaux ne se taisent jamais.

Aurai-je mon ruisseau tapageur ? Son murmure
M’enivrerait peut-être, alors que la ramure
Protégerait mon front comme une douce main,
Aurai-je un lac d’azur où la fleur de carmin
Penchera, comme un cœur qui saigne, son calice ?
Aurai-je une colline où l’œil avec délice
Embrassera parfois tout mon bonheur d’un coup ?
Aurai-je tout cela ? C’est demander beaucoup;
Mais c’est là l’idéal où mon âme s’élance,
L’oasis où peut-être, un jour, dans le silence,
Loin du monde insensible à mon dernier adieu,
J’irai mourir en paix sous le regard de Dieu.

 

L’illustration ci-haut, un bronze d’Alfred Laliberté (1878-1953), montre un colon en train d’essoucher. Elle apparaît dans l’ouvrage Légendes, coutumes, métiers de la Nouvelle-France : bronzes d’Alfred Laliberté, préface de Charles Maillard, Montréal, Librairie Beauchemin limitée, 1934, p. 77.

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