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La fauvette et l’épi de blé

Aussi loin que nous remontions, il s’est trouvé du monde pour aimer faire des fables, ces petits récits le plus souvent rimés, mettant en scène des êtres de vie et se terminant, la plupart du temps, par une morale.

Les plus anciens textes écrits nous proviennent de la civilisation sumérienne, née à la fin du VIe millénaire av. J.-C. et qui s’est développée en Mésopotamie, une région du sud de l’Irak. Peut-être vous souvenez-vous, je vous parlais de ces Sumériens qui, pour chasser la vermine, préféraient domestiquer la mangouste plutôt que de recourir au chat. Pour eux, le félin de poche mettait trop de temps à examiner la situation, alors que la mangouste, à la vue d’un rat, frappait tout de suite, comme l’éclair. Sur le plan historique, les Sumériens sont les premiers à ce jour à avoir fait des fables.

Et puis voilà Ésope, le poète grec (VIIe siècle av. J.-C. — VIe siècle av. J.-C.), le père de la fable comme genre littéraire. Le plus grand fabuliste est assurément l’écrivain français Jean de La Fontaine (1621-1695), qui s’est d’ailleurs fortement inspiré d’Ésope.

Au Québec, certains auteurs québécois se font les dents à la fable. Parmi ceux-ci, Léon-Pamphile Le May (1837-1918), qui a beaucoup écrit, mais fut aussi avocat, bibliothécaire et conteur. Le Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord (Montréal, Fides, 1989), de Réginald Hamel, John Hare et Paul Wyczynski, cite, au sujet de Le May, cette phrase de Romain Légaré : Nul avant lui n’avait songé à poétiser la vie intime du Canadien, à peindre, au lieu des traits héroïques empruntés à l’histoire, la vie toute simple des habitants de son pays, à glorifier leurs traditions, leurs croyances, leurs fêtes naïves.

Extrait de Fables canadiennes de Léon-Pamphile Le May, publié à Québec en 1882 :

LA FAUVETTE ET L’ÉPI DE BLÉ

 Sur le bord d’une route
Un épi de froment,
Né du hasard sans doute,
Se penchait tristement.
Il croissait dans la solitude
Et jamais la sollicitude
Ne l’avait protégé.
Il en était bien affligé,
Car il songeait qu’à la moisson prochaine
Le moissonneur ne prendrait pas la peine
De le recueillir,
Et que sur sa tige,
Sans aucun prestige,
Il faudrait vieillir.

Une implacable sécheresse
Vint ajouter à sa détresse;
Il crut bien qu’il allait périr
Avant de mûrir.
Heureusement qu’une fauvette
Quand le jour avait lui,
Venait chanter sa chansonnette
Auprès de lui.

— Toi dont le cœur est bon, entends ma voix plaintive,
Doux chantre ailé,
Lui dit-il désolé,
Va me chercher là-bas quelques gouttes d’eau vive,
Je voudrais vivre encor.

L’oiseau prit son essor
Et, d’une aile rapide,
À la source limpide
Vola, compatissant;
Il puisa quelques gouttes
Et vint les verser toutes
Sur l’épi languissant.
C’en fut assez. L’épi, sous la molle rosée,
Retrouva sa force épuisée
Et sa vigueur;
Il trouva l’existence un peu moins monotone
Et, lorsque vint l’automne
Avec sa rigueur,
Il était mûr, et sa tête superbe
Se balançant avec orgueil.
Alors il entendit, dans une touffe d’herbe,
Un chant de deuil.
Il écouta. C’était la fauvette obligeante.

— Qu’as-tu donc, lui dit-il d’une voix engageante,
Qu’as-tu donc à gémir ainsi ?

— J’ai faim, répondit-elle, et cherche quelques graines…
Je voudrais aller loin d’ici
Et mes ailes sont vaines !

— Mes grains sont mûrs; viens près de moi,
Je te les donne
Et m’abandonne
À toi.

L’épi, vers la terre endormie,
À ces mots, s’inclina soudain,
Et la fauvette son amie
Ne mourut pas de faim.

* * * *

Faites la charité, faites sans bruit l’aumône,
Pour Dieu d’abord et puis pour vous;
Car vous ne savez pas, fussiez-vous sur un trône,
Ce que vous garde un sort jaloux.

Au sujet de Léon-Pamphile Le May, on retrouvera sa biographie par Maurice Pellerin, dans le Dictionnaire biographique du Canada.

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