Skip to content

Le «p’tit poisson»

Aujourd’hui, de toutes les pêches hivernales, la plus populaire est sans doute celle du «p’tit poisson», du poulamon. Depuis 75 ans, quelques milliers de personnes se rendent le pêcher, pendant un mois, à travers la glace de la rivière Sainte-Anne à Sainte-Anne-de-la-Pérade, sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent, entre Batiscan et Grondines.

Le dépouillement de la presse québécoise en 1900 fournit une autre information au sujet de l’histoire du «p’tit poisson des chenaux», voilà plus de 100 ans. On ne parle jamais de pêches à Sainte-Anne-de-la-Pérade. Ce poisson, qui vit en eau salée ou saumâtre et se reproduit en eau douce, remonte, semble-t-il, le fleuve en longeant le littoral nord. Aussi, on le pêche alors à Québec dans l’embouchure de la Saint-Charles, et dans les paroisses du bord du fleuve jusqu’à Trois-Rivières. Mais il n’est jamais aussi abondant que dans l’embouchure de la rivière Saint-Maurice, qui sépare les villes de Trois-Rivières et de Cap-de-la-Madeleine, où se trouverait la grande frayère du Poulamon atlantique (Microgadus tomcod, Atlantic Tomcod). On l’appelle d’ailleurs alors «poisson des Trois-Rivières» ou «poisson de Noël». Aussi, suivons-le surtout dans le journal Le Trifluvien.

Le journal annonce le 15 décembre 1896 : « On a mis en vente la semaine dernière le petit poisson, mais il ne s’agit que du petit poisson d’en bas, celui des chenaux n’a pas encore fait son apparition. Un char de petits poissons «Tomy-Cod» vient justement d’arriver et un autre char sera reçu chaque semaine durant l’hiver au grand Magasin de provisions et liqueurs, de la rue St-Antoine, tenu par L. T. Cormier. »

À Sorel, le journal Le Sud du 18 décembre 1890 se plaint d’ailleurs du prix de ce poisson apporté par chemin de fer.  « Hier matin, on a pu constater sur le marché l’arrivée du petit poisson qui est généralement si bien accueilli à cette époque de l’année; malheureusement, le prix excessif ne permettait pas à un grand nombre d’y toucher : 40 cents le quart !!……… c’est-à-dire, deux cents le petit poisson, c’était raide et plusieurs ont dû s’en passer. »

Finalement, selon Le Trifluvien du 24 décembre 1890, voilà le poisson de Noël. « Le «petit poisson» a fait son apparition sur nos marchés. Il se vendait 20 centins la mesure la semaine dernière. Les prix vont diminuer aussitôt que la pêche va se faire sur une plus grande échelle au Cap de la Magdeleine.»

Deux ans plus tard, réglé comme une horloge, le voici le même jour : « Avec les premiers froids, nous arrive la petite morue. Les pêcheurs du St Maurice et de la côte du Cap ont déjà commencé à tendre leurs filets et à placer leurs cabanes. Quelques amateurs de petit poisson en ont même déjà pris quelques douzaines à la ligne. »

Mais quand même, certaines années, il semble moins nombreux. Le 31 décembre 1892, Le Trifluvien constate : « Le petit poisson tarde à arriver. On n’en a encore pris qu’en petite quantité et selon toute apparence la pêche ne sera pas très abondante, cette année. »

Tout de même, le temps des Fêtes se passe à pêcher et pêcher à Trois-Rivières et au Cap. Tiens, le 9 janvier 1889, Le Trifluvien se laisse distraire : « Dimanche dernier [le 5 janvier], Mr Édouard Sébastien de cette ville se rendait au petit poisson; lorsque rendu sur le St Maurice, il captura une corneille; il l’emporta chez lui où elle est encore pleine de vie. C’est un fait assez rare de prendre des corneilles en cette saison de l’année pour mériter d’en faire mention. »

En 1900, voilà que le correspondant du journal montréalais La Presse à Trois-Rivières se pose des questions. « La pêche à la petite morue qui, par le passé, était si rémunératrice dans la rivière Saint-Maurice, y fait défaut, cet hiver. Les pêcheurs, pour ne pas désappointer les gourmets, ni perdre un revenu précieux pour eux-mêmes, se sont vus obligés d’installer leurs appareils sur les bordages du fleuve Saint-Laurent. On dit qu’à cet endroit le petit poisson est assez abondant. Beaucoup sont surpris de constater que ce poisson, qui fréquentait le Saint-Maurice en si grandes quantités, autrefois, ait abandonné ses eaux. Ils en recherchent la vraie cause. »

Quelle serait cette vraie cause, l’état de la recherche ne permet pas de répondre à la question. Chose certaine, au 20e siècle, le flottage du bois sur la rivière Saint-Maurice et la présence de nombreuses manufactures de pâte et de papier mettra un terme à cette pêche dans cet affluent du Saint-Laurent. De là, la nécessité de préserver aujourd’hui la qualité des eaux de la rivière Sainte-Anne, même en amont de la grande frayère.

Et puis comment ne pas rappeler ce passage émouvant dans Le Trifluvien du 17 janvier 1902 :

« On a fait ces jours derniers une lugubre découverte au Cap de la Magdeleine. M. Noël Rocheleau, du Cap, a été trouvé mort dans sa cabane de pêcheur sur la glace. Sa lampe était encore allumée et son poêle plein de feu. On croit qu’il a succombé à une maladie du cœur. Le défunt était un vieillard bien connu et estimé de la place. »

 

La photographie de ces dames se présentant à la pêche au poisson des chenaux à Sainte-Anne-de-la-Pérade, prise il y a facilement plus de 40 ans, provenait à l’époque de la Direction générale du Tourisme du Gouvernement du Québec, cote M-4-F-20 (8) 70.

5 commentaires Publier un commentaire
  1. Depuis environ 4 ans nous n’installons plus de cabanes a pêche, dommage … Mais il ne se forme plus assez de glace pour y permettre ce loisir. Qui aurait cru cela ?
    Ce matin je regarde le fleuve a l,eau claire ou presque, a peine une bordure de glace sur la grève. Dommage j’aimais bien cette pêche conviviale ou le temps semblait s’arrêter au rythme des marées.

    2 janvier 2013
  2. Jean Provencher #

    Cela dit, chère Marie, est-ce qu’on en mange tant du poisson des chenaux ? À Trois-Rivières, dans ma famille, on se faisait une tradition de quelques repas de ce poisson que mon père achetait au marché à poissons. Mais il m’a toujours semblé qu’on en pêchait beaucoup plus que ce qu’on consommait, qu’il s’en perdait malheureusement.

    2 janvier 2013
  3. J’ai essayé de le cuisiner, de bien des manières, mais je n’y ai trouvé aucun plaisir.
    Mais il ne se gaspillait pas, car plusieurs personnes attendaient les prises et y trouvait plaisir a le cuisiner. Mes chiens en raffolait moi pas du tout !
    Mais j’ai essayé!

    7 janvier 2013
  4. Jean Provencher #

    J’ai toujours trouvé que, petit poisson pour petit poisson, l’éperlan est plus savoureux. J’aime beaucoup l’éperlan. Peut-être nourriture de gens modestes, mais délicieuse.

    7 janvier 2013

Trackbacks & Pingbacks

  1. Vive le petit poisson du Saint-Maurice, s’écrie-t-on à Trois-Rivières ! | Les Quatre Saisons

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS