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Faut-il vraiment demeurer en ville ?

Dépouiller, depuis maintenant quelques années, la presse québécoise en 1900 ne peut qu’amener, au fil du temps, à voir des analogies avec aujourd’hui. À ce moment, le 20e siècle n’est pas encore là, mais on sent des craintes, des peurs qui surgissent. Où va-t-on dans ce monde devenu de plus en plus rapide ? Ce monde où les valeurs traditionnelles éclatent en mille morceaux ? « Maman, viens chercher ton garçon ! »

Voyez ce texte, par exemple, fort révélateur, non signé, publié dans La Gazette de Joliette du 22 décembre 1892

 

Tout le monde déplore la malheureuse tendance des gens de la campagne à quitter la vie calme de l’agriculture pour la vie agitée et incertaine des villes. Mais qui donc trouvera le moyen d’enrayer le mouvement désastreux, des combler les vides pénibles qui se font dans les rangs de nos cultivateurs ?

Le cultivateur, sur le retour de l’âge, quittant sa terre pour aller se fixer en ville avec sa famille, n’y retournera jamais; ses enfants non plus; car ceux-ci, prenant goût à la vie de l’atelier ou du magasin finissent par avoir pour l’état d’agriculteur, d’habitant, un dédain des plus profonds.

Si, d’un côté, il existe dans les campagnes un certain dégoût pour l’agriculture, par contre, dans les villes, il y a bon nombre de pères de famille à l’aise qui, vu l’encombrement croissant dans tous les genres de profession, redoutent pour leur fils un avenir de déboires et de découragements et tournent leurs regards vers les campagnes. Ils se demandent, en contemplant la tournure menaçante du mouvement social, s’il ne serait pas sage d’assurer à ses enfants la vie paisible des champs en les établissant sur des terres, au lieu de les exposer, en les gardant dans les villes, aux dangers de la tempête qui, plus tôt qu’on ne le croit, assaillira la société.

C’est sans doute cette pensée qui a inspiré les justes observations suivantes que le Pionnier a publiées sous la signature de Jean Bellevue :

On conseille souvent à la jeunesse des villes de prendre le chemin de la campagne. Au fils de famille qui est justement effrayé de l’encombrement des carrières professionnelles et mercantiles, on dit « Faites-vous colon, faites-vous cultivateur.»

Je suis loin de trouver à redire à ce conseil; car, en principe, il est sage et patriotique.

Il est bien certain que la société marche à pas de géants vers un cataclysme, grâce à ce déplacement constant et anormal des enfants de la campagne vers la ville, de cet abandon général de la charrue pour les autres occupations.

Nous arrivons au moment où il y aura un notaire pour chaque acte à dresser, deux médecins pour se disputer la cure de chaque patient, dix fois plus d’avocats que de plaideurs et autant de magasins que d’habitants dans chaque localité.

Et du train que vont la production industrielle et la multiplication outrée des usines sur tous les points du globe, le temps approche où il sera fabriqué en une journée plus que le genre humain tout entier ne pourra consommer en un mois.

Il n’est pas nécessaire d’être prophète pour prévoir la crise qui se prépare, la tempête qui s’accumule à l’horizon. Et ceux qui cherchent un refuge d’avance dans la vie des champs sont de la catégorie des prudents.

Cependant il ne faudrait pas pousser notre jeunesse des villes dans la carrière agricole sans bien la prémunir contre les pierres d’achoppement qui l’y attendent.

L’inexpérience a ruiné plus d’un colon novice qui s’est lancé dans une exploitation rurale sans posséder les notions indispensables au succès. […]

La population des villes devra retourner vers les campagnes. La force des choses créera un mouvement dans ce sens. C’est inévitable.

 

L’huile sur toile ci-haut, Maison rue Lafleur, est une œuvre de l’artiste peintre Cathy Lachance, de l’île d’Orléans.

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