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Sur la presse et la vie de journaliste

Celui qui signe Nestor parle de ce sujet dans La Gazette de Joliette du 14 décembre 1893. Un texte vraiment étonnant.

Celui qui écrit pour le journal de la grande ville n’est pas toujours sur un  lit de roses. Il lui faut compter avec les exigences et les embarras qui l’entourent. Sa conscience est souvent aux prises avec la solution des problèmes les plus difficiles, les plus délicats.

Mais qu’il se console. Son confrère de la campagne ne vit pas dans une atmosphère tout-à-fait exempte de nuages.

Un écrivain des États-Unis définissait comme suit le rôle du journaliste dans une petite ville :

« Les lecteurs d’un journal local exigent généralement un rédacteur qui sache lire, écrire et parler de politique; en même temps, ils veulent qu’il soit religieux, spirituel, savant et historien à volonté; il doit écrire de manière à satisfaire tout le monde, tout connaître sans être renseigné par personne, toujours, avoir un bon mot pour tout le monde excepté pour lui-même; il doit vivre de l’air et ne pas se faire d’ennemis. Pour un tel homme, il y aurait de l’avenir… au cimetière. »

Ceci rappelle le mot de M. Vekeman, rédacteur du Peuple, qui disait récemment :

«Pour être journaliste dans certaines contrées, il suffirait de… ne pas avoir besoin de manger, de pouvoir coucher à la belle étoile et de porter le costume du père Adam.»

Tout cela est plus ou moins vrai dans toutes les parties de notre pays et j’y trouve la confirmation de ce que je disais au début de cet article. Celui qui envisage la presse autrement que comme un apostolat, une vie de dévouement au service de la vérité, celui-là se ménage bien des mécomptes, bien des désappointements.

Un philosophe chrétien l’a dit : le journaliste doit être homme de dévouement, de grande ténacité, de beau savoir, poursuivant un noble but. Ce doit être un rude jouteur, car il sera en butte aux attaques vaillantes.

Le journaliste doit s’attendre à travailler beaucoup et à être peu rémunéré, car il n’aura, bien des fois, pour le payer de ses peines, que la satisfaction du devoir accompli.

La presse, comme on l’a dit souvent, est une arme puissante, redoutable aux uns, profitable aux autres, mais qui demande toujours des sacrifices de la part de ceux qui s’en servent.

La presse pouvant le bien et le mal, il est important que les hommes honnêtes s’en emparent pour la tourner vers le bien. […] Mais il faut avouer que la presse de notre époque n’est pas à l’abri du reproche, ni même du soupçon. Elle a souvent abusé de ses prérogatives d’une manière si coupable, qu’il ne faut pas s’étonner si elle est en butte à une certaine défaveur générale.

En théorie, elle enrichit les peuples; elle est la première de nos institutions sociales.

Mais tout le monde ne l’envisage pas ainsi. Pour les uns, c’est un élément de démoralisation, un foyer de discordes, la ruine du pays; et ils ont raison. Pour d’autres, c’est une garantie de moralité, un contrôle nécessaire, un grand facteur d’éducation publique, et ils n’ont pas tort.

Tout cela est vrai, selon que le journalisme est vendu ou libre et selon la conscience du publiciste, selon les mobiles d’intérêt général ou privé qui dirigent sa plume.

Aux esprits droits et clairvoyants incombe le devoir de discerner entre la bonne presse et l’indigne. Entre celle qui ne cherche qu’à se vendre, à se prostituer sous différentes formes, et celle qui est prête pour tous les combats honnêtes, qui sait mettre l’honneur au premier rang de ses aspirations.

Si nous voulons posséder la bonne presse, sachons lui accorder au moins un peu de cet encouragement qui est prodigué à la mauvaise.

Tout en laissant au journaliste l’espoir d’obtenir sa plus grande rétribution dans une vie meilleure, ne serait-il pas sage et juste de rendre sa position tant soit peu tenable, même dans ce bas monde ?

 

Quel magnifique texte ! Fort réfléchi ! Et j’allais rajouter : absolument actuel !

Illustration d’Alain Bachellier sur Flickr

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