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Rupture du tout dernier pont de glace

Le 7 avril 1898, nous l’avons vu hier, le Quotidien de Lévis se demandait quand le pont de glace liant Québec et Lévis partirait. Selon lui, il ne pourrait tenir bien longtemps maintenant. Trois jours plus tard, le 10 avril, dimanche de Pâques, le pont se brise. Tous les contemporains ignorent qu’ils vivent alors un moment historique. Voilà que disparaît le dernier grand pont de glace à s’être maintenu pendant des semaines, au cours d’un hiver, entre les deux villes. Le Quotidien décrit l’événement dans le journal du lendemain. Véritable pièce d’archives.

Le pont de glace entre Lévis et Québec est parti hier matin à 9 hrs.

La rupture de la glace s’est faite cette année lentement.

Depuis samedi midi, on ne doutait plus du prochain départ du pont.

La glace s’est mise en mouvement du côté de Québec, et le chariot qui s’est promené durant plusieurs jours avant la formation du pont de glace en janvier dernier s’est mis en mouvement suivant la marée montante.

Ce n’est que vers onze heures et demie, lorsque la glace descendait avec la marée et au moment où elle allait se heurter sur le morceau du pont de glace qui était resté à la clef, que celui-ci se mit en mouvement pour lui laisser la voie libre.

La glace descendit en face de la ville jusqu’à 4 heures.

Samedi à 3 heures, un cheval, le premier, a passé à travers le pont de glace à l’endroit où il s’était formé une marre d’eau quelques pieds de la voie [sic].

Plusieurs autres chevaux ont eu le même sort.

Cinq ou six voitures de cultivateurs ont été obligées d’attendre la haute marée du côté de Lévis pour pouvoir prendre le quai de l’embarcadère.

Un cheval conduit par un enfant a roulé en bas du quai avec un wagon à quatre roues contenant des boîtes. On l’a hissé sur le quai non sans difficulté.

Malgré le danger qu’offrait le pont de glace à sept heures, un charretier a traversé deux malles de Québec avec sa famille.

Près du chemin du pont de glace, du côté de Lévis, il y avait une grande marre d’eau, et l’on voyait le courant. En plusieurs endroits, la glace était désagrégée. Des marins avaient prédit samedi que la glace en face de la ville se mettrait en mouvement le soir ou le dimanche matin, aux dernières hautes marées. Ils ne s’étaient pas trompés.

Samedi après-midi, la circulation sur le pont était très nombreuse, malgré le mauvais état où il se trouvait.

Aussi y a-t-il eu quelques accidents.

Un cheval est tombé dans une ouverture d’où il a fallu le retirer au moyen de câbles. M. Roy [le marchand et photographe A. R. Roy], qui déménage à Lévis, a donné dans des cahots avec sa voiture et plusieurs articles concernant la photographie ont été brisés. On estime ses pertes à quelque cinquante dollars.

La glace sur les battures partira rapidement. Elle est partout détachée. À St. Romuald, à Hadlow, à la station du Grand Tronc, à St. Joseph et ailleurs, de gros et nombreux morceaux se détachent et l’on voit le sable en plusieurs endroits.

Les bateaux de la traverse ont commencé ce matin le service ordinaire entre Lévis et Québec.

On nous informe qu’il y avait quinze personnes sur le pont quand il s’est mis en mouvement. Toutes ont pu arriver à la rive sans accident.

Le pont remontait le fleuve à une allure très modérée.

On croit que le premier bateau de Montréal arrivera dans notre port jeudi prochain.

L’express d’Halifax, qui est entré à la gare de Lévis, hier à 11 hrs, avait à son bord un grand nombre de voyageurs en destination de Québec et tous était désireux de prendre le dîner de Pâques au milieu de leurs familles.

Le pont était rompu et les bateaux de la traverse ne pouvaient pas encore faire le service entre les deux rives. Il n’y avait que les canotiers qui pouvaient se frayer un passage à travers les glaçons, mais ils exigeaient un prix exorbitant.

Il y avait, en outre, le danger à courir dans une frêle embarcation. Cependant, peu après l’arrivée du train, trois personnes décidèrent de traverser en canot et payèrent le prix demandé. L’un des canots transportait la malle; un autre MM. Ulric Tessier et W. J. Maguire et un troisième Mme W. M. Macpherson. Toutes ces personnes revenaient d’un voyage en Europe. La traversée était très mouvementée. Le courant et les glaçons entraînèrent les embarcations sur une grande distance de Lévis. Ils ont enfin pu accoster à l’embouchure de la rivière St-Charles, d’où l’on s’est dirigé vers le bassin Louise.

 

À noter que le pont de glace entre Québec et Lévis, fort apprécié des populations et « célébré » par les historiens et les ethnologues au 20e siècle, était loin de se former chaque année. Samuel de Champlain, qui fonda Québec en 1608 et fit de nombreux voyages en France pour trouver du soutien au développement de cette toute petite colonie, n’a pas vu de pont de glace de son vivant. C’est seulement au printemps 1632, trois ans avant sa mort, au retour d’un de ses voyages, qu’il apprend des colons qu’un pont s’était formé durant l’hiver entre les deux rives. Par la suite, au fil des ans jusqu’à ce dernier pont en 1898, jamais les riverains ne purent prédire un pont pour l’hiver venant.

Source de cette magnifique illustration du pont de glace reliant Lévis et Québec en 1892 : Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Collection initiale, Photographies, Cote P600, S6, D1, P698. On aperçoit la ville de Québec au loin.

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