Le plaisir du retour des hespéries
Ces sont ces petits papillons aux gros yeux.
Celle-ci est la première à se présenter. Il s’agit de l’Hespérie de Léonard (Hesperia Leonardus, Leonardus skipper).
Je l’attrape en matinée sur un pissenlit. Et, en début d’après-midi, alors que je suis à donner un cours de vocabulaire à la chatte sur le toit de sa niche, cette hespérie vient se poser tout juste devant nous, sur la galerie, à nos pieds. Était-ce pour écouter le cours ? Allez savoir.
Distraction.
Et, pour la chatte, le mot hespérie n’était pas facile à apprendre. J’avais beau lui préciser, elle n’y arrivait pas. Ah, les langues, les langues.
Et cette gamine qui continue de nous regarder, bien occupés que nous étions.
Pourquoi chaque vivant ne serait-il pas une porte, une entrée pour quelque chose chez son voisin immédiat quel que soit son monde ? Nous nous sommes tant divorcés de la nature depuis Aristote et Descartes que, plutôt que des éclaircissements venus lentement au fil du temps, nous vivons aujourd’hui dans un brouillard encore plus dense. Il faudra bien s’y mettre, un jour. Quitter notre petite personne bien prétentieuse qui fait de nous des enfermés pour enfin entrer dans ce monde de partage, d’échanges. Enlever notre bien vieux manteau.
Et puis Kirkpatrick Sale, journaliste, essayiste, chercheur indépendant américain né en 1937, écrit :
Dans le monde naturel, rien n’est plus frappant que l’absence de contrôle centralisé, de toute domination inter-espèces, et on ne trouve aucune tendance vers des relations gouverneur-gouverné considérées comme inévitables par la gouvernance humaine. […] Dans une communauté biotique, les différentes séries de plantes et d’animaux, peu importe la manière dont ils organisent leurs propres familles et groupements, se comportent convenablement et sans heurts les uns avec les autres, sans avoir besoin d’un quelconque système d’autorité ou de domination. […] Il n’existe pas une espèce qui commanderait toutes les autres (ni même certaines d’entre elles) ou qui même exprimerait l’intention de le faire, pas plus qu’il en existe une que son instinct ou ses intentions mèneraient dans cette direction. […] La relation de prédation se caractérise certainement par la violence et la mort (mais aussi par la subsistance et la vie), par le déséquilibre et la non-réciprocité, mais elle n’est jamais établie pour autre chose que pour la nourriture — pas pour la gouvernance, le contrôle et l’établissement du pouvoir ou de la souveraineté. Elle est bien un exercice du pouvoir, mais un pouvoir toujours diffus, un pouvoir presque accidentel.
Kirkpatrick Sale, L’art d’habiter la Terre, La vision biorégionale, Éditions Wildproject « domaine sauvage », 2020.p. 133-135.