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Dans l’histoire du costume au Québec, il y aurait un long texte à écrire sur les chapeaux que portaient les dames québécoises en 1900

Au théâtre, on se plaint que leurs grands chapeaux empêchent les autres de bien voir la scène. Pour la sauvegarde des oiseaux, on mène campagne contre la présence de plumes sur leurs chapeaux. Ici, deux amies qui ne se sont pas vues depuis longtemps portent le Merry widow, un chapeau à larges, très larges bords. Brève histoire d’une soudaine rencontre.

Deux chapeaux « Merry widow » ont causé tout un attroupement, hier après-midi, rue Sainte-Catherine ouest, et ont pendant cinq minutes considérablement amusé les badauds.

C’est vers les quatre ou cinq heures, au moment où le flot des promeneurs élégants est le plus impétueux, que les deux couvre-chefs, gigantesques et risibles, furent aperçus, venant l’un vers l’autre, animés d’un mouvement de tangage bien prononcé, que leur imprimait la foule.

Sous l’un d’eux voguait une charmante blonde, sous l’autre voguait une non moins charmante brune.

Le clair-obscur sous lequel les tenaient leurs abris-tentes ne nuisait en rien à leur jeune beauté.

Les deux chapeaux s’approchaient donc.

Ils se touchèrent bientôt, quoique leurs propriétaires fussent encore à six ou sept pieds de distance [d’un mètre 80 à presque deux mètres 2].

Comment, Louise, c’est toi ! s’exclama l’une d’un ton à la fois dubitatif et charmé.

— Mais, oui, ma chère Amélie.

— Depuis quand es-tu à la ville ?

— Depuis trois jours seulement.

— Que je suis contente de te voir.

— Et moi, donc !

Rendu à cette phrase, les mots ne pouvant plus suffire à exprimer leur tendresse, les deux promeneuses voulurent s’embrasser. En pleine rue Sainte-Catherine.

Mais elles avaient compté sans leurs chapeaux inflexibles comme des gendarmes, leurs bords tinrent les amies à distance et empêchèrent la rue Saint-Catherine ouest d’assister à cette petite séance d’auscultation.

La seconde tentative ne servit qu’à marquer le gentil nez de l’une d’entre elles d’un vilain trait rouge produit par le rebord d‘un chapeau.

Un « shake-hand » à une distance respectueuse fut donc le dénouement forcé de ce petit drame du chapeau.

Cette aventure attirera vraisemblablement au chapeau « Merry widow » toutes les sympathies de la ligue pour la suppression du baiser, et, quand deux amoureux partiront pour la promenade, la maman prudente coiffera de semblables chapeaux sa fille et son galant.

La prophylaxie et les bonnes mœurs, il n’y a que ça !

Le Reporter.

 

La Patrie (Montréal), 6 mai 1908.

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