Après les deux jours gras de dimanche et lundi, voici le Mardi gras (5 mars)
Ces deux mots — jours gras — évoquent tout un monde de gaietés et de plaisirs ; le carnaval est alors à son apogée et la folie secoue ses grelots d’or, dont le tintement frénétique n’empêche cependant pas l’arrivée du carême.
Avec le Mardi gras, la saison mondaine s’achève.
Le Mardi gras à la campagne est un jour de réjouissances particulières.
On se travestit, on se déguise et « on court le mardi gras ».
Ceux qui ont été élevés dans les villages à l’ombre des croix d’or ou plutôt de cuivre qui dominent nos clochers, dans les vieilles paroisses du district de Québec sur les rives endeuillées de sapins noirs du bas du fleuve, ou au bord des lacs du nord, ceux-là savent ce qu’est courir le « mardi gras ».
Ils se rappelleront, comme nous nous le rappelons, les troupes joyeuses allant d’une porte à l’autre et faisant maintes niches innocentes — partout accueillies avec cette bonhommie souriante et cette hospitalité cordiale, qu’on ne rencontre que chez nos braves cultivateurs.
Couverts de neige, chuchotant et se poussant avec des rires étouffés, les coureurs de mardi gras se pressent à la porte.
On vient.
Ils se dissimulent dans l’ombre ; puis, quand l’huis [sic] tourne, laissant tomber sur la neige une large traînée de lumière blonde, tous font irruption ensemble dans la paisible demeure.
C’est alors des rires à n’en plus finir, des exclamations et des interpellations de surprise et de curiosité.
Derrière leurs masques, les coquins se moquent gaiement de ceux qui ne parviennent pas à les reconnaître.
Quelques-uns sont reconnus.
À d’autres le déguisement est traîtreusement arraché et leurs figures bon enfant apparaissent rougies par le froid du dehors et par l’excitation du plaisir.
Les derniers sont forcés de se nommer.
On s’assoit pour rire plus à son aise et le père de famille paie la traite à tous.
Les meneurs de carnaval ne sont pas toujours aussi bien reçus.
Certaines fois, ils tombent mal et frappent à la porte d’un brutal qui ne s’attarde pas à leur demander : « Est-ce Jean ? est-ce petit Louis ? est-ce Pierrot ? » et qui ne cherche pas à pénétrer le secret des masques, mais qui commence par leur donner la chasse.
« Ah ! mes petites canailles, je vais vous apprendre à venir déranger les honnêtes gens !
Et une poursuite typique s’engage.
Le poursuivant ne va pas loin et les poursuivis lui lancent, en fuyant, des cris de défi.
Longtemps leurs voix jeunes résonnent dans la nuit et leur gaieté s’égrène en rires argentins, capables de rajeunir qui les entend.
La Patrie (Montréal), 28 février 1908.
L’illustration montre un groupe de mardi-gras en visite chez Jos Parent, mon arrière-grand-père maternel, à Saint-Raymond de Portneuf, patrie de ma mère Claire, qui a pris soin de conserver cette image. Jos est cet homme à bretelles à l’avant. Bien belle pièce d’archives.