En 1906, les Montréalais découvrent un nouvel homme fort
Le 26 février 1906, au parc Sohmer, l’arbitre Raphaël Ouimet annonce une joute nulle entre Louis Cyr, l’homme fort de Saint-Jean-de-Matha, et Hector Décarie, du quartier Saint-Henri, à Montréal. La foule, nombreuse, proteste.
Louis Cyr s’avança alors sur le devant de l’estrade et, dominant les spectateurs du regard, du geste et de la voix, il leur expliqua que le dénouement de la rencontre ne pouvait être attribué qu’au mode adopté pour décider quel des deux athlètes aurait la palme.
Puis, il, termina par ces paroles qui furent très applaudies : « Je reconnais en Décarie l’un des hommes les plus forts que j’ai rencontrés depuis que je suis dans l’arène. Aussi il me fait plaisir de lui concéder mon titre qu’il saura défendre, je l’espère, avec autant de succès que je l’ai défendu moi-même. »
Celui que Louis Cyr venait de sacrer roi de la force et à qui il transmettait, magnanimement, la plus « lourde succession » qui soit, n’était qu’un jeune homme de vingt-sept ans […].
Hector Décarie est né à Saint-Henri de Montréal, le 17 mars 1880, du mariage de Jean Décarie et Lucie Fichaud, et il descend d’une des premières familles établies à Montréal. […]
À treize ans, rapporte la « Culture physique» (1907, p. 164) , le directeur du collège où était le jeune Décarie avait organisé un tournoi de lutte au poignet. Hector en sortit le premier en renversant même quelques instituteurs qui y avaient pris part.
À cet âge, Décarie était un garçonnet fluet. Cependant, dans ce petit corps, les muscles étaient d’une solidité et d’une puissance telles que les gens ne pouvaient comprendre où il puisait la vigueur qui lui permettait de soulever des fardeaux déjà lourds.
Profitant de sa mine illusionnante pour jouer de bons tours aux gens qui se fient à l’apparence, le gamin se présentait chez des bouchers et offrait de parier qu’il jetterait un cochon, qu’il désignait, au bout de ses bras ; ou bien il allait chez des marchands de grains et proposait le même pari, au sujet d’une balle de foin.
La plupart du temps, on commençait par rire de ce qu’on croyait être une forfanterie d’enfant, mais, comme il insistait, on le prenait parfois aux mots dans le but de s’en débarrasser et de lui donner une leçon. Au grand ennui des parieurs, le gringalet soulevait tous les poids, comme s’il eut été un homme, et un homme fort, et il fallait le voir ensuite s’amuser de la tête de ses victimes.
À dix-sept ans, Décarie s’adonna sérieusement aux poids de diverses sortes et sa force augmenta rapidement. À vingt et un ans, déjà renommé, il se rencontra dans un match de lutte au poignet avec Chapleau, le fameux champion qui n’avait jamais connu de maître, et il le battit. Ce fut la stupéfaction. […]
Aujourd’hui, Hector Décarie [1880-1954] est un magnifique athlète ; il faut l’avoir vu de près et avoir palpé ses muscles saillants, gros comme des câbles et durs comme l’acier, pour éprouver l’impression que la puissance de cet homme doit être terrible. […]
E. Z. [Édouard-Zotique] Massicotte.
La Patrie (Montréal), 28 février 1908.