« Le jour de l’an des Chinois »
En 1900, l’anniversaire de l’avènement au trône de l’empereur marque pour le Chinois le temps des fêtes. C’est son jour de l’an.
Le reporter de « La Patrie » passant hier soir sur la rue Lagauchetière, est entré dans l’établissement de l’interprète chinois Lee Chu. Ce dernier l’a reçu très cordialement. Il a bien voulu suspendre ses préparatifs de fête, pour donner à notre représentant quelques mots d’explications concernant les usages pratiqués par ses compatriotes lorsque s’ouvre pour eux une année nouvelle. […]
Les visites du jour de l’an ont commencé à se faire à quatre heures du matin. La rue Lagauchetière, que nos compatriotes anglais ont surnommée « China Town » s’est tout à coup animée, Chaque résidence s’est illuminée, puis les rares piétons, qui passent par cette rue à une heure aussi matinale, ont vu une procession de Chinois sortant d’une résidence pour entrer dans une autre.
La série interminable des visites était commencée.
Ce matin, un représentant de « La Patrie » s’est rendu chez le marchand Lee Chu, qui est sans conteste le Chinois le plus à l’aise de la colonie. Lee Chu, debout depuis 2 heures du matin, avait revêtu une robe magnifique, sur laquelle était tracées des arabesques exécutées à l’aiguille avec de la soie de diverses couleurs.
Dans un coin du vaste magasin, une table ployait sous les fruits les plus savoureux importés de Chine même, pour la circonstance. Il y avait des fleurs en quantité. Ces fruits et ces fleurs répandaient un arôme délicieux. Les Chinois, gens sobres par excellence, ne dédaignaient pas au jour de l’an de vider quelques coupes d’excellents vins. Voilà ce qui expliquait, sur la table, la présentation de plusieurs bouteilles du meilleur cru.
Les tablettes du magasin disparaissaient sous des draperies les plus riches, rappelant l’art merveilleux que possèdent les Chinois pour la peinture. En différents endroits, des inscriptions de bienvenue et des souhaits de bonne année en caractères chinois se détachaient sur de grandes banderoles multicolores.
Les fils du Céleste Empire en se faisant les compliments d’usage ne se donnent pas une poignée de mains. Les mains croisées en avant du corps, ils se contentent de faire une révérence, puis ils déposent dans un plateau en guise de carte de visite un morceau de papier rouge sur lequel est inscrit leur nom.
L’hôte sert des fruits et des liqueurs, puis, après un bout de conversation, les visiteurs se retirent en exprimant le souhait d’être payés de retour par leur compatriote. Les Chinois ne se découvrent pas en rendant visite.
La Patrie (Montréal), 7 février 1902.