À quelques jours du temps des Fêtes
J’ai souvent parlé de Françoise, le nom de plume que se donnait Robertine Barry (1863-1910), la première femme journaliste québécoise, originaire de L’Isle-Verte.
Dépouillant la presse et tomber sur un de ces textes est un repos, tant ses propos sont sentis, simples et chaleureux. La voici à quelques jours de Noël.
Oui, les fêtes ! Ça ne revient pourtant qu’une fois par année et dire que ça revient si vite ; car, disait je ne sais quel penseur profond : « Les heures ont beau être longues, les années sont toujours courtes ».
Cette maxime nous frappe avec plus de force à chaque fois que l’on touche à ces grandes époques qui jalonnent le cours de nos douze mois.
Il n’y a pas bien longtemps encore que je vous faisais mes souhaits et déjà il me faut recommencer.
Non, pas tout de suite, tout de suite. Attendons au moins jusqu’au premier de janvier.
En attendant, tout se prépare, tout annonce la grande solennité de Noël et le renouvellement de l’an.
Les ménagères dont le petit grand ménage, frottent et fricotent, les jeunes gens choisissent leur cravate, les fillettes un bout de ruban.
Il existe — je ne sais si je vous l’ai déjà dit — une touchante superstition relativement au premier janvier.
Celui ou celle qui porte ce jour-là un article de vêtement quelconque tout neuf, tout flambant neuf, étrennera souvent dans le cours de l’année. Pour une bonne raison d’avoir un cotillon nouveau, c’est une bonne raison.
Depuis le commencement de décembre, les réclames se font à grands cris au nom des fêtes qui approchent. Nous avons ce mois-ci des « soieries et étoffes pour les fêtes », des « chocolats pour les fêtes », des « jambons et des saucissons pour les fêtes » comme si la manière dont on mange et s’habille en ce temps-ci différait du reste de l’année.
Puis, à une nomenclature d’articles, les uns plus bizarres souvent que les autres, on ne manque pas d’ajouter cette phrase d’actualité saisissante : convenable pour cadeau de Noël et du Jour de l’An. […]
Chaque jour, je m’attarde le long de la route et l’allonge même volontiers pour admirer les vitrines qui tirent l’œil de plus d’un passant.
Sont-elles tentantes un peu, ces vitrines, mirobolantes, resplendissantes, et toutes belles choses en antes, comme écrirait madame de Simiane.
* * *
Je ne sais comment les jeunes étudiants-bohèmes qui m’ont écrit l’autre jour vont passer ces joyeuses solennités.
J’espère que leur bourse est mieux garnie que quand M. [Arthur] Buies est venu donner sa conférence, puisque le défaut de ce misérable métal les a privés du plaisir d’y assister.
Je le déplore en effet pour eux, car ils ont perdu une soirée fort agréable.
Ils auront, je l’espère, l’occasion de se reprendre, mais, en attendant, je regrette ce désappointement et plus encore le motif qui en a été la cause.
Vraiment la dèche est-elle aussi profonde que ça ? […]
J’ai eu de la peine, voyez-vous, après avoir lu votre lettre. Le plus beau temps est celui de la jeunesse ; j’aimerais à ce que rien ne vînt assombrir ces heureux jours.
Bah ! après tout, quelques revers ne font pas de mal aux jeunes gens. Ça trempe le caractère, ça donne du nerf, durcit et prépare aux luttes de l’avenir.
On a remarqué que ceux-là mêmes que la fortune n’a pas gâtés dans leur enfance comptent plus tard des jours prospères.
Qui sait ? dans une vingtaine d’années, je pourrais être invitée à aller écouter, dans le style piquant de ceux qui m’ont écrit il y a deux semaines, le récit de leurs mauvais jours dans une admirable conférence.
Ces étudiants-bohèmes d’aujourd’hui auront peut-être des noms qui se seront distingués, qui dans la politique, qui dans la chirurgie, qui dans le barreau.
J’irai alors les applaudir, moi, mes cheveux blancs, mes lunettes et mon tricot.
Françoise.
La Patrie (Montréal) 18 décembre 1893.
Voici plus de vingt billets de Robertine Barry.