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Réflexion de mon ami Serge prenant à témoin le mélèze

Le mélèze en train de perdre ses aiguilles en automne

Je préfère l’agenda du mélèze à celui de l’être prisonnier de ses horaires arbitraires, de ses déplacements planifiés et de son temps fabriqué. Si le mélèze comptait ses heures et ses années, s’il se croyait en 2001 ou 2011, après la naissance d’un Mélèze venu racheter les péchés du monde entier au nom d’un père mélèze qui pousse dans le ciel, alors je crois que le mélèze s’ennuierait.

Il remarquerait son immobilité, il saurait son âge et refuserait de vieillir. Il trouverait sa routine insupportable, il irait même jusqu’à maudire ses racines pour mieux envier l’olivier.

Or le mélèze qui n’est pas en 2001 ni en 2011 et qui ne se soucie guère de nos calendriers et de nos ambitions, ne maudit ni ses racines ni la perte de ses aiguilles en automne. Il participe à la symphonie du monde, il joue sa partition, il sait qu’il va tomber mais que la terre le reprendra, qu’il renaîtra dans l’œil d’un cheval, dans la tige d’une fleur de ruisseau, dans le métal luisant du vieux pare-chocs d’une ancienne machine.

On ne sort pas de l’univers, disaient les anciens philosophes chinois et les vieux penseurs de l’Inde. Pour voyager très loin et être plus rapide que l’éclair, il suffit de s’asseoir sur une pierre et de réfléchir quelques secondes. On ne sort pas de l’univers, parce que l’univers est trop grand. Il est grand comme le temps dont il dispose.

 

Serge Bouchard, C’était au temps des mammouths laineux, Montréal, Boréal, collection Papiers collés, 2012, p. 194.

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