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« Le pied de la côte »

Le pied de la côte de la Fabrique

Vous imaginez un livre qui porterait ce titre ? On se dirait que l’éditeur s’en va à l’abattoir. Mais l’histoire du Vieux-Québec est tellement riche que nous pourrions penser une collection d’ouvrages sur ce thème.

L’histoire du pied de la côte de la Montagne est si variée qu’il faudrait y aller de deux volumes : la naissance de la ville et les  nombreux lieux qui s’y sont succédés, dont le Neptune Inn, bien sûr, et la boutique de petits jouets à ressort d’Isaac Devlin. Le pied de la côte Dambourgès, allons donc voir d’abord la fabrique de canots que les Jésuites y avaient installée sous la Régime français, puis l’Américain Benedict Arnold, venu en 1775 avec son contingent de miliciens rêvant de s’emparer de Québec et qui y perd la jambe. Côte du Palais, demandez-vous ? Il y avait du grand monde tout en bas et le premier chantier naval, demandez-le à l’Intendant. Côte d’Abraham ? Occasion d’y visiter les nombreuses tanneries et de prendre conscience des conditions modestes d’existence. Une entrée du faubourg Saint-Roch aussi.

Et le pied de la côte de la Fabrique ? Ah là, voici un autre lieu à la longue histoire. J’essaie de convaincre un ami retraité qui y habite de s’y mettre. Cinq rues y convergent, imaginez le carrefour. Qu’importe l’époque, on se retrouve dans une sorte de cœur de vie, où chacun finit par se connaître, le moindrement qu’il y habite avec joie. L’horloger et inventeur Cyrille Duquet y tient boutique. De l’autre côté de la rue, ça fait plus de 100 ans que les Livernois photographes y demeurent et y travaillent; sait-on qu’un des Livernois, chartreux en France, reçoit le mandat de venir fonder l’ordre ici et meurt en chemin, en mer ? Vous empruntez rue Couillard et vous voilà à l’Ostradamus, haut lieu de musique en son temps, et Chez Temporel, si sympathique café. Tout près, en diagonale de l’autre côté de la rue, on croirait entendre Calixa Lavallée en train de composer au piano la musique de l’O Canada, le chant de ralliement des personnes de langue française qui s’amènent à Québec pour la grande rencontre du mois de juin 1880. Rue ColIins, dite rue de L’Hôtel-Dieu maintenant, il y eut ce grand feu en plein hiver. La librairie Pantoute et Bardou ont vu le jour tout près. Mon copain retraité habite rue Garneau. N’oublions pas la descente des boîtes-à-savon pour enfants, fort populaires, qui s’y tenaient lors du Carnaval de Québec contemporain, et aujourd’hui disparue. On s’y agglutinait pour en être témoin.

Et puis, le pied de la côte doit essuyer des intempéries à l’occasion. Rappelez-vous ce violent orage le 19 juillet 1904 :

Tempête à Québec.

Il a fait hier en cette ville une chaleur excessive.

À l’établissement Duquette, situé à l’angle des rues de la Fabrique et St-Jean, le thermomètre Farenheit a marqué 94 à l’ombre et 117 au soleil. Hier soir, de lourds nuages venant de l’Ouest ont apporté une tempête électrique effroyable ; l’eau tombait par torrents et dans la côte l’eau entraînait les pierres du chemin dans les caves des demeures de la rue St-Vallier [au pied du cap, là où se trouvent les tanneries], bouchant les tuyaux d’égout.

Certaines rues avaient jusqu’à deux pieds d’eau. Des éclairs déchiraient la nue.

Heureusement que nous n’avons pas d’accident à déplorer.

Vers neuf heures du soir, tout rentra dans le calme. La température était encore chargée de vapeur et très lourde.

 

Le Canada (Montréal), 20 juillet 1904.

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