Arrêt sur Dai Wangshu
Un ouvrage me met sur sa piste, petit livre de poèmes choisis traduits du chinois et présentés par Yan Hansheng (1902-1993) et Suzanne Bernard (1932-2007).
Wangshu a eu une courte vie. Né en 1905 à Zhejang, en Chine, il décède à Beijing en 1950. Suzanne Bernard, écrivaine et critique littéraire française, sait bien nous le rendre dans la préface du livre.
L’auteur, bien connu en France selon cette dame, fut d’abord inspiré par la poésie classique des Tang (que nous avons approchée à quelques reprises sur ce site), avant de parvenir « à laisser la parole libre former sa nouvelle écriture ».
Dai Wangshu est un de ces poètes pour qui la poésie est d’abord une re-création du monde. Les images et les sensations qu’il nous livre, naissent de cet effort, de cette aspiration. Son attitude est rimbaldienne, sans aller jusqu’au « complet dérèglement des sens » : le rêve est son gardien, son axe et son support. Un rêve qui n’en finit pas de dialoguer avec la vie, de l’emporter sur elle, et d’être vaincu par elle aussi. […] Comment la tonalité dominante de l’œuvre ne serait-elle pas la tristesse ?
Ouvrons avec La ruelle sous la pluie, la pièce qui l’a fait connaître alors qu’il avait 23 ans. L’essentiel de Dai Wangshu est là, écrit Suzanne Bernard, : simplicité du thème, rythmes et ton libres, économie de moyens, puissance suggestive, amalgame rêve et réalité, tristesse dominante, murmure… Le principe répétitif qui crée le mouvement du poème — celui-ci à l’image du poète, déambulant — est parfaitement maîtrisé et conduit jusqu’à son terme : l’annulation du rêve au moyen du retour final de la première strophe. La composition est toute musicale…
La ruelle sous la pluie
Avec un parapluie en papier huilé, seul
je déambule dans une longue et longue
ruelle solitaire, sous la pluie
et j’espère rencontrer
une jeune fille aussi triste
qu’une fleur de lilas.
Elle aura
la couleur du lilas
Elle soupirera sa plainte dans la pluie,
triste et mélancolique.
Elle déambulera dans cette ruelle solitaire
avec comme moi
un parapluie en papier huilé
et comme moi
elle marchera en silence
froide, seule et triste.
Elle s’approchera sans bruit
et à cet instant me jettera
un regard qui soupire
puis elle passera comme un rêve
un rêve vague et triste.
Comme un lilas
qui passe, fugitif dans un rêve
cette jeune fille me croisera
et s’éloignera, s’éloignera en silence
dépassant la haie délabrée
pour disparaître au bout de la ruelle, sous la pluie.
Dans l’air mélancolique de la pluie
se trouveront effacée sa couleur
éclipsé son parfum
disparu même son regard
qui soupire
et sa tristesse de lilas.
Avec un parapluie en papier huilé, seul
je déambule dans une longue et longue
ruelle solitaire, sous la pluie
et j’espère rencontrer
une jeune fille aussi triste
qu’une fleur de lilas.
Source : Dai Wangshu, Poèmes, Littérature chinoise, Beijing 1982. Choisis, traduits du chinois et présentés par Yan Hansheng et Suzanne Bernard.
J’aimerais tant un jour pouvoir demander au cinéaste Wong Kar-Wai (王家衛) si ce texte ne l’a pas influencé pour son bien beau film In the Mood for Love (花樣年華). Voir ce billet.