Dans la série «Là où me mènent mes ânes» (15)
Un poème du romancier et nouvelliste français Léon Cladel.
Mon âne
Il avait sur l’échine une croix pour blason !
Poussif, galeux, arqué, chauve et la dent pourrie,
Squelette, on le traînait, hélas, à la voirie.
Je l’achetai cent sous; il loge en ma maison.
Sa langue avec amour épile ma prairie
Et son œil réfléchit les arbres, le gazon,
La broussaille et les feux sanglants de l’horizon;
Sa croupe maintenant n’est plus endolorie.
À mon approche, il a des rires d’ouragans,
Il chante, il danse, il dit des mots extravagants
Et me tend ses naseaux imprégnés de lavande.
Mon âne, sois tranquille, erre et dors, mange et bois,
Et vis joyeux parmi mes prés, parmi mes bois;
Va, je te comblerai d’honneurs et de provende !
Léon Cladel, «Mon âne», Le Parnasse contemporain : Recueil des vers nouveaux, III 1876, p. 73.