Nous marchons vers une nouvelle définition de l’intelligence
Le bonheur est pris chez les biologistes, divisés en deux camps. Les résistants résistent. Pas question pour le comportement des plantes d’accepter le terme «Neurobiologie» végétale, car elles n’ont pas de neurones. Mais bientôt il faudra se rendre à l’évidence. Attention, craintifs, craintives, la bouchée sera grosse.
Auparavant, il y avait l’homme, les animaux, puis le reste, les autres, menu fretin. Tout en bas. Prochainement, il faudra imaginer la vie autrement, descendre du piédestal. Placer quelque part une simple planche où, à cause de nos originalités respectives, nous serons tous égaux. Côte-à-côte, un humain, par exemple, un raton laveur et une arabette, où aucun n’aura à se sentir inférieur… ou supérieur.
Le journal français Le Monde est incroyable. Voilà qu’il fait le tiers de sa une du 2 mars avec cette nouvelle riche d’infos qui n’apparaît toujours pas dans la presse quotidienne québécoise. Ces grands journaux que sont Le Monde, le Guardian, Le Temps (en Suisse) et le New York Times sont des Hubble de l’information. Et, ici même, dans le quotidien français, ça s’appelle proposer la joie plutôt que la déprime. Dans son cahier «Sciences et médecine» de ce jour, 2 mars, deux pages pleines, bien tassées, de la journaliste documentariste Sabah Rahmani, «Les plantes, ces grandes communicantes». Extraits.
Plus de doute, les plantes savent communiquer ! Loin des clichés sur les plantes vertes et passives, la biologie végétale ne cesse d’observer depuis une quinzaine d’années des facultés surprenantes que l’on croyait réservées au monde animal. Elles communiquent entre elles et avec des insectes, «appellent» la pluie, élaborent des stratégies pour combattre des agresseurs, alertent leurs voisines en cas de danger, gardent les événements en mémoire, et, à la grande surprise des chercheurs, sont parcourues de signaux électriques mystérieux. […]
La communication biochimique complexe des plantes est encore loin d’avoir dévoilé tous ses secrets. Mais plus encore, c’est l‘électrophysiologie des végétaux qui suscite régulièrement la surprise des chercheurs. Si on savait que les plantes ont une activité électrique, on a longtemps sous-estimé son importance. Les plantes blessées, par exemple, émettent des signaux électriques qui les traversent. Pourquoi et comment ? […]
Grâce au modèle de l’arabette des dames (Arabidopsis thaliana), l’équipe [celle du département de biologie moléculaire de la plante à l’université de Lausanne, en Suisse] a réussi à identifier les gênes qui déclenchent le signal électrique et à confirmer le lien avec l’activation des protéines de défense loin de la blessure. […] «Ce qui est surprenant, c’est que ces gênes sont très similaires aux gênes activés dans les synapses rapides du cerveau humain, alors qu’une plante n’a aucun neurone. C’est très intrigant et stimulant», s’enthousiasme Edward Farmer [le professeur qui dirige l’équipe de Lausanne]. Il explique que toute cellule biologique a un potentiel électrochimique de membrane qui agit comme une petite pile polarisée, mais la transmission électrique d’une cellule végétale à l’autre sur une longue distance reste une énigme. […]
Mais comment expliquer ce mécanisme alors que la plante n’a pas de cerveau ? «Les plantes sont capables de produire et d’émettre des signaux électriques sur toutes les cellules de leur corps. De ce point de vue, il y a une sorte de cerveau diffus, alors que chez les animaux tout est concentré dans un seul organe», détaille Stefano Mancuso [du département d’horticulture de l’université de Florence, en Italie]. […]
À l’instar de Darwin, qui comparait l’action des racines à celle du cerveau animal, les partisans de la neurobiologie ont souvent concentré leurs recherches sur les racines. Dans un de leurs articles, publié en 2013, Mancuso et [Frantisek] Baluska [de l’université de Bonn] insistent sur le fait que les apex racinaires — les extrémités — ont «une très grande sensibilité aux stimuli environnementaux». «La pointe de racine [la coiffe] agit comme l’organe sensoriel la plus important de la plante; elle détecte des paramètres physiques divers telles que la gravité, la lumière, l’humidité, l’oxygène et les nutriments inorganiques essentiels«, expliquent-ils. Les racines poussent ainsi plus vite que la partie aérienne de la plante. […]
Au Japon, des chercheurs ont ainsi observé depuis longtemps, trois ou quatre jours avant un séisme, une activité électrique anormale des arbres qui s’intensifie à l’approche du jour J. D’après les dernières mesures de Yoshiharu Saito, directeur de l’Institut technique de l’environnement et des prévisions des séismes, ces phénomènes seraient dus à la réception d’un signal électromagnétique par les racines de l’arbre. Mais l’étude de ce mécanisme ne permet pas encore de localiser l’épicentre et l‘ampleur d’un séisme.
La mémoire des plantes, elle, n’est plus un tabou. De nombreuses études ont montré que les plantes sont capables de se souvenir d’un stress (climat, torsion, etc.) et de s’adapter à leur environnement. Cette mémoire varie de quelques jours à une quarantaine de jours pour le Mimosa pudica, par exemple, qui selon l’équipe de Mancuso montre aussi des capacités d’apprentissage. Pour autant, Francis Hallé [botaniste et ancien enseignant à l’université de Montpellier et auteur de Plaidoyer pour l’arbre, Actes sud, 2005] prévient qu’il ne s’agit pas d’une «mémoire ou d’un apprentissage comparable aux nôtres. Une plante que vous n’arrosez que rarement, par exemple, aura l’habitude de vivre au sec, elle s’en «souvient». Par contre, si vous l’arrosez beaucoup, eh bien, le jour où vous ne l’arrosez plus, elle meurt. Car la plante dépend aussi de ce qu’il lui est arrivé dans les époques antérieures.» […]
Si l’être humain a près de 25 000 gènes, les végétaux en ont souvent beaucoup plus, comme le riz, qui en compte plus de 40 000. Alors que l’animal a la possibilité de se déplacer, la plante a finalement trouvé ses réponses dans la richesse et la variabilité génétique. «Un gage de longévité», assure Francis Hallé, pour qui le plus important reste sans doute encore à découvrir.
Voilà une courte partie du dossier de Madame Sabah Rahmani. Il faudra bien s’y attarder encore sous peu.
Nous évoquions plus haut une nouvelle définition de l’intelligence, une opération que certains approuvent, mais à laquelle d’autres s’opposent. «Les frontières tombent, c’est très intéressant car on ne sait pas trop où l’on va», dit Philippe Descola [anthropologue et professeur au Collège de France], qui voit ce débat comme une marque probable de la fin du cycle naturaliste dans les sociétés occidentales.
Merci à Vous, Madame Rahmani.
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