L’heure à la moquerie
Allez, un peu d’incroyable.
Sous le titre «Déplorable manie de nos compatriotes aux États-Unis», Le Franco-Canadien, l’hebdomadaire de Saint-Jean-sur-Richelieu, édition du 1er février 1884, ridiculise ce comportement.
Ti-Pierre, le chroniqueur du Castor publié à Fall River, n’a pas fini avec ceux qui changent leurs noms. Il a pour mission de leur rappeler le ridicule de leur conduite.
— Quel est votre nom, monsieur ?
— En anglais ou en français, dit notre Yankee récemment importé de la Rivière-du-Loup ? (Il vient de la Rivière-du-Loup, mais je vous assure qu’il est loin d’avoir la finesse de cet animal.)
— Votre nom pur et simple ?
— Mon nom en français, c’est Dosithé Beauchamp; mais, en anglais, c’est «Backcity Fairfield», répond notre original (Je devrais dire orignal).
— Mais, ne savez-vous pas que les noms de famille ne se traduisent jamais ?
— Ah ben ! les Américains comprennent pas ça, Dosithé Beauchamp.
Il n’a pas à s’en étonner; qui peut comprendre d‘un individu assez dénué de bon sens pour traduire son nom ? J’ai rencontré un pistolet qui tient à se rendre célèbre sous le nom de «Shitrind», quand son nom est bel et bien Chicoine. Un autre singe veut suivre ses traces; le nom de Létourneau ne lui va plus; il vous dira qu’il s’appelle «Blackbird». Une vraie poule noire qui mettrait l’eau à la bouche de nos chercheurs de trésors.
Francœur, lui, tient à son cœur; il veut surtout que sa dulcinée soit charmée d’entendre prononcer son nom qu’il traduit sans scrupule de «Sweetheart». Quel beau cœur; mais quel pauvre d’esprit !
Maître Mathieu qui prononce son nom «Maqueue» s’appelle tout simplement «Mytail». Voilà une bête qui tient à son apanage au moins. Un autre passera à la postérité des lunatiques sous le nom de «Makesnine», vu que son nom est Phaneuf. Il en vaut neuf de son espèce; dans la balance de la bêtise humaine, comme dans les autres balances, celui qui a le plus de poids l’emporte.
Pierre Corriveau veut prouver qu’il n’a pas de respect pour sa mère; en conséquence, il se nomme «Peter Body Calf». Il faut être veau, chien ou génisse pour écorcher un si beau nom. M. «Cart» laisse sa charrette loin derrière lui. M. Brodeur est fraternel jusqu’au bout et se dit «Brother». Jean Charron est du métier, lui aussi, et son enseigne se lit : «Wheelright». Joachim Lachance a plus de chance que d’esprit, sait qu’il vit dans la patrie de Washington : c’est pourquoi il se donnera le nom de «Washington Lucky». […]
Boisvert ne veut pas que son bois sèche, et traduit son nom en «Green Wood». Vertefeuille est toujours au printemps de son savoir et se dit être «Greenleaf». Et les sots de l’imiter.
Dionne est jeune, surtout en anglais; il s’appelle «Young». Marie Dénommé n’aura pas honte de se nommer «Mary Call». Eugène Poulin, qui est «poulain» tout de bon, vous rue son nom à la porte et s’appelle «Young Colt». S’il avait les oreilles un peu plus longues, s’appellerait «Jackass», j’en suis certain.
J’en signale un dernier. Poisson écrit son nom «Fish». Et dire que tous ces individus là n’ont jamais réfléchi aux conséquences qui peuvent résulter de ces traductions absurdes.